L'avenir de l'édition jeunesse serait-il résolument numérique ? Un sondage réalisé aux Etats-Unis, dans le cadre du Rapport 2010 sur la lecture des enfants et de la famille édité par Scholastic et le groupe Harrison (http://mediaroom.scholastic.com/themes/bare_bones/2010_KFRR.pdf), souligne une désaffection très nette des 6-8 ans pour le livre sous sa forme traditionnelle au profit des médias électroniques et jeux vidéo. Alors que près de 60% des petits sondés (6 ans) identifient la lecture comme deuxième activité de loisir préférée (après la télévision), leurs aînés âgés de 17 ans sont moins de 25% à déclarer lire pour le plaisir : ce sont les jeux (sur PC et consoles), l'usage d'Internet, la vidéo et surtout l'utilisation des téléphones mobiles qui occupent l'essentiel de leur temps libre.
L'attrait manifestement irrésistible des nouvelles technologies sur les juniors pourrait-il paradoxalement les réconcilier avec le livre, pour peu que celui-ci leur soit proposé sur support numérique ? 25% des jeunes américains interrogés déclarent avoir tenté l'expérience de l'e-lecture et 57% d'entre eux (9-17 ans) se disent... intéressés par cette nouvelle approche du texte.
Préjuger d'un succès assuré du format e-Book auprès des "enfadolescents" sur la base de telles données semble pourtant hasardeux. C'est d'ailleurs l'avis d'Hubert Guillaud, rédacteur en chef d'InternetActu.net qui, interpellé par certains des chiffres présentés dans le Rapport de Scholastic, réagit sur son Blog "La Feuille" (http://lafeuille.blog.lemonde.fr/2010/10/18/comment-enrayer-la-chute-de-la-lecture-des-enfants) en proposant quelques pistes de réflexion sur la frilosité du jeune public face au livre.
Avant d'être électroniques, les nouvelles pratiques des juniors sont participatives, interactives (jeux) ou socialisantes (réseaux, téléphones mobiles), à moins qu'elles ne réclament un niveau d'implication particulièrement faible (TV, films). La lecture est une activité traditionnellement isolante, qui de plus requiert une attention soutenue : ainsi, elle semble se situer hors de la sphère des attentes actuelles du jeune public... le passage du format papier au digital introduit sans doute le livre dans la catégorie des objets électroniques, et le support numérique crée une interactivité nouvelle, mais cette évolution suffira-t-elle à convaincre un public passablement indifférent voir rétif à la lecture ? Comme le souligne Hubert Guillaud, les premiers consommateurs de livres numériques sont avant tout de "gros lecteurs" (d'ouvrages papier). C'est dès l'âge de 6 ans que les enfants interrogés pour le Rapport de Scholastic commencent à "bouder" le livre. Pourquoi si tôt, à peine la phase d'apprentissage de la lecture achevée ? Hubert Guillaud estime que c'est précisément quand la lecture devient autonome (plus d'accompagnement pédagogique, ni d'histoires lues avec les parents...), donc dépouillée de son caractère socialisant, qu'elle perd de son attractivité.Pour redonner aux juniors le goût de lire, l'offre numérique peut sembler inadaptée, ou insuffisante. Re-situer le livre comme objet d'échanges culturels, de partage avec l'entourage, pourrait contribuer davantage à son succès (le format magazine, composite, fédérant un réseau d'abonnés, avec souvent un courrier des lecteurs, semble actuellement pouvoir mieux que le livre remplir cette fonction de support de lecture socialisant). Les "clubs de lecture" adaptés au jeune public, organisés sur des temps pédagogiques mais aussi en ligne, via des réseaux dédiés, sont peut-être à valoriser, tester et perfectionner comme opérateurs de re-socialisation du livre.
Enfin, l'aspect ludique du support doit sans doute être considéré comme déterminant, y compris pour les publics ayant dépassé l'"âge de raison" : passer du livre abondamment illustré, grâce auquel l'enfant fait son apprentissage, au livre "sérieux", tout en texte, peut sembler trop abrupt aux 6-8 ans...
Les axes de réflexion posés par Hubert Guillaud amènent à s'interroger sur le "livre jeunesse idéal" : celui qu'un enfant lirait avec plaisir jusqu'au bout, avec l'envie de renouveler l'expérience, enrichi de nouvelles images et idées. Quels seraient sa forme, son contenu, son accès ? Le concept de lieu est peut-être plus parlant : la nouvelle Bibliothèque numérique des Enfants de la BNF (http://enfants.bnf.fr/), avec sa "Salle de lecture" virtuelle proposant animations, jeux et textes adaptés à tous les âges (de 6 à 12 ans), sa "Réserve de livres rares", son "Cabinet de curiosité" et ses coins parents / enseignants, entre autres espaces (dont certains à venir), est un intéressant exemple de création associant nouvelles technologies, applications ludiques, interactivité et accompagnement à la lecture. La fréquentation de ce site, lancé en septembre 2010, devrait rapidement éclairer parents et éducateurs sur l'efficacité d'un tel outil, qui se propose de développer l'appétit de la lecture chez son jeune public.
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