mercredi 2 décembre 2015

Nos pratiques numériques sont-elles écologiques?

Le numérique est surtout mis en avant pour ses révolutions et les bouleversements qu'il génère dans la société, tant au niveau des entreprises et des pratiques professionnelles que des consommateurs. La question de son impact écologique est peu évoqué au bénéfice d'un bon sens qui voudrait que la dématérialisation soit synonyme de pratiques écologiques. La COP21 qui se déroule actuellement à Paris est l'occasion de faire le point sur le poids de nos clics sur la toile.

Un secteur en pleine expansion

Depuis 2008 l'accroissement des équipements est lié au développement des smartphones et des tablettes au niveau mondial et l'accès à Internet ne cesse d'augmenter avec une marge de progression encore grande puisque 42% de la population mondiale a accès à Internet. [1]

Quelques chiffres pour 2015 [2] :
  • 3 milliards de terminaux connectés dont 2 milliards pour les smartphones et 1 milliard pour les ordinateurs
  • 5 à 7 milliards d'objets connectés dont la prévision pour 2020 est entre 25 et 75 milliards
  • 45 millions de serveurs
  • 800 millions d'équipements réseau connectant les clients entre eux aux serveurs

Par ailleurs, la consommation est d'autant plus stimulée que les fabricants jouent sur l'obsolescence programmée du matériel et le désir des utilisateurs de posséder les derniers modèles d'appareils. En 2013, la moyenne de renouvellement était de 18 mois alors que la durée de vie technique est de 7 à 8 ans, d'après Fabrice Flipo dans "La face cachée du numérique".

Sans compter également les effets rebond comme la performance accrue des logiciels dont le fonctionnement demande des machines de plus en plus puissantes et énergivores. Windows 7 et Office 2010 nécessitent 15 fois plus de puissance processeur, 71 fois plus de mémoire vive et 47 fois plus d'espace disque que leurs ancêtres Windows et Office 97.

Le numérique et son empreinte sur l'environnement

Contrairement aux idées reçues qui tiendraient à affirmer que la numérisation des données constitue une économie d'énergie globale -réduction des déplacements, diminution de la consommation de papier...-, l'usage massif des TIC entraîne l'effet inverse. L'économie virtuelle consomme une une énergie bien réelle, même si les méthodes de calculs font débats. Dans les pays de l'Union Européenne, selon le rapport de la Commission européenne publié en 2008, les nouvelles technologies représentent entre 2,5% et 4% des émissions de dioxyde de carbone et entre 8 et 10% de la consommation électrique. [3]
Au niveau mondial, les TIC représentent environs 10% de la consommation électrique comme le secteur de l'aviation mondial. Ce qui équivaut à 40 centrales nucléaires.

Les datas centers sont souvent les plus incriminés mais en réalité tout le cycle de vie est concerné : de l'extraction des ressources à la fabrication des équipements. Dans les années à venir, c'est le poids du réseau dans la consommation électrique globale qui va augmenter le plus vite.

Focus sur les datas centers et les équipements terminaux

Les datas centers, nouvelles industries du XXIème siècle regroupant les serveurs indispensables à la navigation sur le Web et à la circulation des 300 milliards de courriels, pourriels, photos ou vidéos envoyés quotidiennement, consomment autant d'énergie qu'une ville de 200.000 habitants. D'après les auteurs de "La face cachée du numérique", la consommation moyenne d'un data center est estimée à 4 mégawatts par heure, équivalant à la consommation de 3.000 foyers américains. "Avec l'essor spectaculaire du stockage en ligne, ces chiffres sont appelés à croître sans cesse, précise Fabrice Flipo. La production de données pourrait être multipliée par 50 dans le monde d'ici à 2020."[4]

Pour les équipements terminaux, c'est la phase de leur fabrication qui est la plus polluante. Elle concentrerait à elle seule plus de 80% des impacts comme l'épuisement des ressources, l'effet de serre, la destruction de la couche d'ozone, la consommation d'énergie etc. Quant aux usages, ils représentent environ 10% de la consommation d'électricité dans le monde.

2 exemples parlants [4]:

  • L'envoi des courriers électroniques d'une entreprise de 100 personnes représente chaque année 13,6 tonnes de CO2, soit 14 allers-retours Paris - New York, selon ADEME, Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. 
  • La création d'un livre ne représenterait que 1,3 kg en équivalent carbone contre 135 kg pour un Ipad et 168kg pour une liseuse selon l'Institut Carbone 4. D'après ces chiffres, lire sur une liseuse deviendrait donc écologiquement intéressant à partir du 130ème livre lu. Sachant qu'un Français lit en moyenne 16 livres par an, il faudrait donc 8 ans avant que le ratio liseuse vs livre papier s'inverse.

Pistes vers des économies d'énergie

Cette prise de conscience devrait inciter les différents acteurs, des fabricants aux utilisateurs en passant par les fournisseurs d'accès à Internet, les éditeurs et les pouvoirs publiques, à changer leurs habitudes et mettre en place des initiatives pour réduire l'impact écologique des TIC.


Gestion du cycle de production de chaleur vs refroidissement des datas centers

Leur principal problème est qu'ils produisent beaucoup de chaleur et qu'il faut les refroidir. Les premières pistes concernent donc le refroidissement avec de l'eau, de l'air naturel ou des bains d'huile minérale par exemples. Plusieurs techniques fonctionnent en France : free cooling direct qui utilise l'air froid extérieur ; le free chilling qui consiste à ventiler l'air extérieur pour le refroidir avant de l'injecter. [5]
Une autre piste est le recyclage de la chaleur générée, par exemple pour chauffer les bureaux dans les entreprises qui utilisent les centres de calculs. Des solutions pour les particuliers commencent à voir le jour : radiateurs numériques, chaudières numériques, chauffe-eaux numériques... Le principe est toujours le même : l'équipement contient des coeurs de calculs dont on recycle la chaleur lors des phases d'usage. [1]

Vers l'éco-conception des logiciels

Les éditeurs de sites web et autres services en ligne peuvent également contribuer à réduire l'empreinte du web en éco-concevant leur sites et services pour réduire l'infrastructure physique nécessaire au transport et à la manipulation de tous ces octets. Les chercheurs travaillent sur deux axes. Celui de la réduction de la consommation statique avec la technique du saut-down pour faire s'endormir les composants non-utilisés. Et celui de la consommation dynamique en essayant d'adapter la puissance aux besoins réels des appareils avec la technique du slow-down.[1]
Linkedin et IBM ont démontré qu'ils ont divisé par plus de 100 le nombre de serveurs nécessaires en pratiquant l'éco-conception logicielle. Cette démarche n'est pas réservée aux acteurs du web et de l'informatique, la Banque Cantonale de Fribourg, La Poste et bien d'autres entreprises la pratique déjà. D'autant qu'il existe un référentiel de bonnes pratiques pour le web qui fait consensus. [5]

Changer les habitudes avec des gestes simples [4] et [5]

Du côté des utilisateurs, les gestes clés sont simples à mettre en oeuvre mais demandent des changements d'habitudes bien ancrés :
  • rationalisation de l'usage des courriers électroniques : limiter leur envois à plusieurs destinataires ; supprimer les pièces jointes pour répondre à l'expéditeur ; nettoyer sa messagerie et supprimer immédiatement les spams.
  • éteindre les équipements : en éteignant sa box le soir on peut facilement économiser 65 à 130 kwh soit de 8 à 16€ 
  • taper directement l'adresse url d'un site ou utiliser les favoris sans passer par un moteur de recherche : cela divise par 4 les émissions de gaz à effet de serre
  • éviter les écrans de veille 3D
  • allonger la durée de vie des équipement ou les recycler
  • limiter l'usage du cloud : le stockage en ligne des courriers électroniques, photos, vidéo, musiques et autres documents impose des allers-retours incessants entre le terminal de l'utilisateur et les serveurs. Or, transporter une donnée sur Internet consomme 2 fois plus d'énergie que de la stocker pendant un an. 

 

Réduire la part des énergies fossiles

La COP21 a permis à Bill Gates de mettre en avant le fonds d'investissement qu'il créé "Breakthrough Energy Coalition". Il a rallié à son projet la plupart des grandes fortunes du Net pour investir dans les entreprises qui commercialisent les solutions du secteur des énergies propres. [4]
Ces investissements privés sont lancés de pair avec une large initiative publique. François Hollande et Barack Obama ont présenté la mission innovation réunissant 20 pays dont la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et les Emirats Arabes Unis. Les Etats s'engagent à doubler leurs investissements dans la recherche et le développement des énergies renouvelables. [6]
Le recours à l'électricité issue des énergies primaires renouvelables permet également de réduire la quantité d'eau douce consommée.[5]

Nous pouvons tous contribuer à notre niveau à la limitation des dépenses énergiques. Le recyclage des pièces utilisées reste encore un enjeu de taille et est très peu pratiqué même si quelques initiatives émergent. Les Pays-Bas développe le Fairphone qui permet de fabriquer un smartphone abordable avec des pièces interchangeables et des métaux extraits dans des conditions humainement convenables.

Sources

[1] SCHWEYER Cléo : "Le numérique écologique, c'est possible ?" [en ligne] 14 octobre 2015. [consulté le 01 décembre 2015] Sciences pour tous.univ-lyon1.fr

[2] BORDAGE Frédéric : "Quelle est l'empreinte environnementale du web ?" [en ligne] 12 mai 2015. [consulté le 01 décembre 2015] greeIT.fr

[3] LARTIGUE Patrick : "Impact environnemental de l'usage des TIC (technologies de l'information et des communications)" [en ligne] 04 octobre 2015 [consulté le 01 décembre 2015] République Numérique.fr

[4]  JOST Clémence : "COP21 : nos pratiques numériques sont-elles écologiques ?" [en ligne] 30 novembre 2015. [consulté le 01 décembre 2015] Archimag.com

[5] BORDAGE Frédéric : "Comment réduire l'empreinte environnementale du web ?" [en ligne] 04 juin 2015. [consulté le 01 décembre 2015] greeIT.fr


[6] BARROUX Rémi : "Bill Gates et des géants du Net investissent massivement dans les énergies propres" [en ligne] 30 novembre 2015. [consulté le 01 décembre 2015] Le Monde.fr

Pour aller plus loin

FLIPO Fabrice : "La face cachée du numérique, l'impact environnemental des nouvelles technologies" DOBRE Michelle, MICHOT Marion, L'Echappée, 2013, 144 pages

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