lundi 12 mars 2018

Proposition de Loi sur les "Fake News" : Nécessité impérieuse ou fausse bonne nouvelle ?

Le groupe majoritaire LREM (La République En Marche) déposera prochainement une proposition de Loi à l’Assemblée nationale, visant à freiner la diffusion de fausses informations par les plateformes numériques en périodes électorales, afin de garantir le bon déroulement du débat démocratique. L’ébauche des deux textes de la Loi de fiabilité et de confiance de l’information sont consultables ci-dessous. [1] La prolifération subite de cette terminologie même de "fake news" n’est-elle qu’un écran de fumée ? Légiférer peut-il endiguer le fléau de la désinformation ?

La manipulation de l’opinion par le biais d’informations mensongères, véhiculées sciemment par des responsables politiques, des entreprises ou des gouvernements ne constituent en rien une nouveauté de nos sociétés contemporaines. Tourya Guaaybess, Maître de conférences en Sciences de l'Information et de la Communication estime que le terme de fake news est parfois simplement utilisé comme une stratégie populiste, afin d'opérer une décrédibilisation du travail journalistique, elle invite plutôt à réfléchir aux moyens de faire face aux diverses formes de désinformation, qui sont bien réels. [2]

Pour contenir ce phénomène de la rumeur, existant depuis des temps immémoriaux, l’avocat Emmanuel Pierrat rappelle que l’arsenal juridique français est pourvu de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ainsi, l’article 27 stipule que La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d'une amende de 45 000 euros. Selon cet avocat : La liberté d’expression souffrirait une fois de plus de l’adoption d’un énième texte de censure. [3]

La circulation massive de l’information depuis le développement spectaculaire des échanges sur les réseaux sociaux ou les plateformes numériques, a induit le déferlement d’informations volontairement trompeuses à une échelle considérable. En effet, une récente étude du MIT (Massachusetts Institute of Technology), pointe qu’une fausse information a 70% de plus de chance d'être propagée. [4]

Antonio Casilli, professeur agrégé de sciences humaines numériques et sociologue indique que le renforcement de la loi existante serait vain si le Gouvernement ne prend pas en compte le modèle économique des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). En effet, la diffusion de ce type d’information ne serait pas le fait d’internautes lambda. En réalité, c’est la régie publicitaire des GAFAM qui décide de la sélection de l’information erronée, elle monnaye ensuite les données personnelles de leurs utilisateurs et créée des incitations économiques qui favorisent les contenus sensationnalistes. Ce sont des pigistes-internautes vivants au Sud de la planète, pauvres et sous-rémunérés, les ouvriers du clic, qui sont chargés de la diffusion des rumeurs en masse. 

Avant de légiférer, le renouvellement des modèles économiques des médias sociaux serait donc prioritaire et hautement bénéfique, ainsi que la défense des droits des ouvriers du clic, afin qu’ils soient en mesure de refuser d’effectuer les basses besognes. Et Antonio Casilli de préciser : En 2015, Donald Trump aurait acheté près de 60% des fans de sa page Facebook aux Philippines, en Malaisie et… au Mexique. 
Le sociologue préconise également que les partis politiques eux-mêmes en périodes électorales cessent d’acheter des tweets, des "like" et des contenus viraux. [5]

Sources :

[1] REES Marc, Exclusif : téléchargez la future loi contre les fake news, Next INpact. 07 mars 2018 [en ligne], [consulté le 12/03/2018] https://www.nextinpact.com/news/106262-exclusif-telecharger-future-loi-contre-fakes-news.htm

[2] GUAAYBESS Tourya, "Fake news" : de l'instrumentalisation d'un terme à la mode ou les nouveaux visages du "Schmilblick", The Conversation. 11 février 2018 [en ligne], [consulté le 12/03/2018] https://theconversation.com/fake-news-de-linstrumentalisation-dun-terme-a-la-mode-ou-les-nouveaux-visages-du-schmilblick-91339

[3] PIERRAT Emmanuel, "Fake News" et liberté d'expression, Livres hebdo. 06 janvier 2018 [en ligne], [consulté le 12/03/2018] http://www.livreshebdo.fr/article/fake-news-et-liberte-dexpression

[4] LECOMTE Erwan, Les fake news se propagent bien plus rapidement que les informations, Sciences et avenir. 09/03/2018 [en ligne], [consulté le 12/03/2018] https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/reseaux-et-telecoms/sur-twitter-une-fake-news-a-70-de-chances-de-plus-d-etre-diffusee-qu-une-veritable-information_121917

[5] CASILLI Antonio, Une loi sur les fake news : à quoi bon ? Tribune dans l'Obs, Blog Casilli.fr. 02 mars 2018[en ligne], [consulté le 12/03/2018] http://www.casilli.fr/2018/03/02/une-loi-sur-les-fake-news-a-quoi-bon-tribune-dans-lobs-1-mars-2018/

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