jeudi 22 novembre 2018

De l'émotion au capitalisme affectif : une valeur numérique sûre

Lors des dernières rencontres Ethics by Design à Paris début octobre, deux chercheurs en sciences de l'information et de la communication, Camille Alloing et Julien Pierre, ont présenté une conférence sur le rapport étroit entre les émotions, sentiments et affects et la production de valeur des services numériques. Tous deux ont co-écrit un livre, paru en 2017 chez Ina édition, intitulé "Le web affectif".

En 2016, la plateforme Facebook a élargi l'offre des icônes expressives : l'usager est passé du simple "like" exprimé par un pouce à toute une série d’émoticônes représentant la surprise, la colère, le rire et la tristesse, pouvant même exacerber l'expression de sa passion grâce à un cœur sur fond rouge. C'est cet exemple de Facebook Reaction que nos deux chercheurs ont choisi pour illustrer leur propos sur l'affectivité numérique, bien que le concept soit également utilisé par d'autres plateformes numériques comme Twitter et Netflix, et même par des industriels du secteur comme Apple, Samsung et IBM.

Cette analyse de sentiments (sentiment analysis) constitute l'informatique affective, fondée en 1997 par une chercheuse du MIT (Massachussets Institute of Technology). Dans un objectif marketing, cette méthode réunit et applique des éléments issus d'autres disciplines, notamment les sciences cognitives et la psychologie, pour, en retour, proposer aux internautes une meilleure offre de contenus et d'interfaces, des voix de synthèse, des agents conversationnels (chatbot) et des mouvements robotiques, le tout en guise de réponse émotionnelle.

Ainsi, les six émotions citées de la plateforme Facebook réduisent la complexité des sentiments humains à, selon leur description, "like, love, haha, wow, sad, angry". Le paradoxe, comme le font noter les auteurs, est de vouloir étendre l'empathie à l'échelle universelle tout en la réduisant à un minimum d'expressions, formulées par six petites icônes. Ainsi, le design des nouvelles interfaces intègre une dimension psychologique afin de donner une réponse émotionnelle à la marchandisation, mais d'autres usages comme le divertissement, le partage ou l'autoformation sont également importants à étudier lorsqu'il s'agit d'en évaluer l'éthique et de transparence.

Ces supposées émotions universelles, soulignent Camille Alloing et Julien Pierre, ne tiennent pas compte de la différence entre l'expression et l'émotion, et omettent par ailleurs l'importance du contexte socio-culturel. Designers et community managers doivent pouvoir ressentir les tendances émotionnelles des usagers, et même si l'OCDE souligne l'empathie comme une des qualités indispensables du travailleur du 21è siècle, cette simplification du concept de l'empathie, selon ces chercheurs, oublie le frayage, cette capacité de notre cerveau à faire passer nos émotions d'une neurone à l'autre, mais aussi le filtrage. Il en résulte un danger : celui de voir nos émotions guider nos parcours en-ligne, et pire encore, notre expérience vécue.

Sources : Julien Pierre, Camille Alloing. Le design du web affectif : entre empathie et universalité. Retour sur les phases de conception de l’affectivité numérique. H2PTM 2017, Oct 2017, Valenciennes, France. 2017, H2PTM’17 Le numérique à l’ère des designs, de l’hypertexte à l’hyper-expérience. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01626544/document

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