Six mois après sa création, la Commission d'enquête du Sénat sur la souveraineté numérique a remis son rapport le 1e octobre 2019. Considérant le cyberespace comme un champ de compétition entre les États, la Commission estime qu'il y a urgence d'agir pour une meilleure défense de la souveraineté numérique de la France. Aussi cinq (5) recommandations sont formulées pour y arriver.
Dans ce rapport de plus de 250 pages, la commission sénatoriale définit la souveraineté numérique comme la "capacité de l'État à agir dans le cyberespace (..) [sur la base de l'autonomie] d'appréciation, de décision, et d'action (..), [et à] maîtriser [les] données, [les] réseaux, et [les] communications électroniques". Elle y entrevoit un triple enjeu. Éthique, défendre "l'autonomie informationnelle" des ses
citoyens qui sont des sujets de droit et non des données à exploiter. Sécuritaire, assurer sa cyberdéfense. Économique, protéger les données stratégiques de ses entreprises contre les lois à portée extraterritoriale. Le renforcement de la souveraineté passe donc par une meilleure maîtrise des trois (3) couches du cyberespace: la couche matérielle, la couche logique (les protocoles et les logiciels), la couche sémantique ou informationnelle.
1. Définir une stratégie nationale numérique
Pour arriver à une meilleure articulation des efforts jugés trop dispersés, la commission recommande la transformation du Conseil national du numérique en un Forum de concertation temporaire sur la souveraineté numérique. Il réunirait les Administrations de l'État, les collectivités, des parlementaires, des universitaires et des entreprises. A l'expiration de son mandat d'une durée de deux (2) ans, le Parlement et le gouvernement feraient les arbitrages nécessaires relativement aux recommandations pour orienter sur le long terme la politique nationale en matière de souveraineté numérique.
2. Inscrire l'effort de souveraineté numérique dans le temps
Afin faciliter le contrôle parlementaire sur l'exécution de la politique de souveraineté numérique, une loi d'orientation et de suivi de la souveraineté numérique (LOSSN), à l'instar de la loi de programmation militaire, devrait être adoptée. Elle devrait permettre de s'attaquer à deux chantiers urgents: l'attractivité du territoire en ce qui concerne les infrastructures d'internet (câbles sous-marins, centre de données...) et l’accélération de sa couverture numérique. Et aussi orienter l'action de l’État en vue d'arriver à la fourniture d'une carte d'identité numérique, à la création d'une cryptomonnaie publique sous l'égide de la BCE, et à l'imposition des multinationales du numérique selon le critère du lieu de consommation.
3. Protéger les données personnelles et les données économiques stratégiques
A partir du bilan sur la portabilité des données personnelles reconnue dans la loi pour une République numérique et le RGPD, il faut envisager la faisabilité du point de vue technique et opérationnelle de l'obligation d'interopérabilité. Par ailleurs, pour échapper aux lois de portée extraterritoriale, il faut travailler à faire émerger des solution d'hébergement et de stockage des données économiques sensibles auprès d'entreprises françaises ou européennes. Bien évidemment, la commission estime d'un côté qu'il faut s'opposer au Cloud Act, et de l'autre invite à réfléchir à l'extension du RGPD aux données sensibles des personnes morales. L'idée étant de pouvoir sanctionner les intermédiaires qui transmettraient ses données à un pays étranger hors de tout mécanisme légal d'entraide.
4. Adapter la réglementation aux défis numériques
Des mesures, s'appuyant notamment sur la directive ECN, peuvent pour renforcer la concurrence dans le secteur et éviter les effets néfastes que poseraient les entreprises systémiques. L'adaptation implique également une utilisation de l'information pour arriver à une meilleure régulation par la donnée. Cela permettrait de mieux orienter le marché en détectant à temps certains signaux faibles et les risques systémiques. Il faut aussi réfléchir à la faisabilité de nouvelles régulations sectorielles comme la mutualisation des données d'une activité afin de faciliter la concurrence (après avoir obtenu un accord en ce sens au sein de l'OCDE) .
5. Utiliser les leviers de l'innovation et du multilatéralisme
Le renforcement de la souveraineté numérique passera par l'innovation dans le domaine du numérique. Cela exige des actions au niveau national et européen afin de mobiliser les ressources nécessaires (via la commande publique, le crédit d'impôt recherche...) pour encourager et soutenir les projets innovants. La France doit porter également cette problématique au niveau international en promouvant sa vision de la cybersécurité selon laquelle, le droit international est applicable au cyberespace, et que l'attribution d'une cyberattaque relève de la décision souveraine de l'État.
Il s'agit bien d'une contribution parlementaire dans l'espoir d'orienter le débat public autour cette notion de souveraineté numérique. Laquelle traduit bien des inquiétudes notamment en ce qui concerne la domination des GAFAM perçus souvent comme les chevaux de Troie d'une politique de puissance des États-Unis.
Sources:
QUIVIGER, Pierre-Yves. Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel [en ligne]. Paris: octobre 2017 [consulté le 4 décembre 2019]. Une approche philosophique du concept émergent de souveraineté numérique. <https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/une-approche-philosophique-du-concept-emergent-de-souverainete-numerique >
MISTRAL Jean-Pierre. Village de la Justice [en ligne]. s.l: 5 février 2019 [consulté 8 décembre 2019]. Le Cloud Act, des questions et des réponses <https://www.village-justice.com/articles/cloud-act-des-questions-des-reponses,30601.html >
UTERSINGER Martin. Le Monde [en ligne]. Paris: 20 novembre 2019. L'incertaine mais nécessaire "souveraineté numérique" [consulté le 03 décembre 2019]. <https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/20/l-incertaine-mais-necessaire-souverainete-numerique_6019810_3232.html >
DES GROTTES Gaëlle Maraud. Wolters Kluwer [en ligne]. Paris: 11 octobre 2019 [consulté le 13 décembre 2019]. Souveraineté numérique: le Sénat pointe l'absence de coordination des politiques publiques. <https://www.actualitesdudroit.fr/browse/tech-droit/intelligence-artificielle/23849/souverainete-numerique-le-senat-pointe-l-absence-de-coordination-des-politiques-publiques >
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire