mardi 22 décembre 2020

L’émergence d’applications écologiques de la blockchain démontrée par Suez

Suez, multinationale de la gestion de l’eau et des déchets a annoncé le 22 septembre [1] le lancement d’une blockchain de l’économie circulaire garantissant la traçabilité des boues valorisées dans les stations d’épuration. A travers cette annonce, loin d’être anodine, Suez démontre la percée de cette technologie en dehors du secteur bancaire et d’initiatives collectives à petite échelle. 

Anticiper l’application de la loi Economie Circulaire

Le but de ce déploiement ? Garantir aux agriculteurs une ressource sûre pour remplacer les intrants chimiques et encourager l’utilisation de ressources recyclées pour l’épandage des sols agricoles. Diane Galbe, directrice générale adjointe de Suez : 

“Nous récupérons sur les stations d'épuration du phosphore et le recyclons sous la forme d'un engrais, qui se substitue aux phosphates minéraux. […] Grâce à la blockchain, la traçabilité des matières fertilisantes est désormais 100% sécurisée et valorisée. Première technologique proposée sur ce secteur, la solution permet de rassurer les producteurs de boues par une plus grande maîtrise de la gestion de leur filière de valorisation agricole.” [1]

Avec CircularChain, Suez anticipe la loi Economie Circulaire votée le 12 février 2020 qui prévoit d’augmenter les contraintes concernant les boues valorisées pour les terres agricoles. Mais, au delà de cette application pour les agriculteurs, cette annonce tend à montrer que de nouveaux secteurs s’approprient la technologie, amorçant alors sa démocratisation annoncée depuis 2015 [2]. Et parmi ses applications, on en trouve de plus en plus d’ordre écologique, alors que la blockchain a pu rencontrer beaucoup de critiques sur sa consommation énergétique. Comment expliquer cette transition écologique de la blockchain depuis le lancement du Bitcoin en 2009 ?


Histoire de la blockchain, sujet de mode, d’espoirs… et de controverses 

C’est en 2015, lorsque The Economist s’intéresse à la blockchain, que le terme atteint un pic de notoriété. En couverture, le journal la renomme « machine à créer de la confiance ». Il prédit même que « la technologie derrière le Bitcoin pourrait changer le monde ». A la suite de cette publication, le sujet suscite une grande curiosité et l’ensemble des rédactions s’y intéresse pour relayer l’article. Le sujet est désormais partout et soulève l’intérêt du grand public. Elle reste cependant une promesse technologique qu’il faut encore développer, les acteurs devant s’en saisir pour exploiter ses capacités et l’appliquer à leurs domaines. [2] 

Si la technologie tient en elle tant d’espoir, c’est qu’elle promet une décentralisation des opérations, de ne plus avoir besoin de passer par un organisme tiers, envisageant la continuité du monde promis par Internet : disparition des intermédiaires, autonomie des individus et autorégulation libératrice. Et les chiffres rapportés par l’IDC (International Data Corporation) vont dans ce sens : les dépenses mondiales dans les solutions blockchain s’élève à 2,9 milliards de dollars en 2019, soit une croissance de 88,7% par rapport à 2018. Et on l’estime à 4,3 milliards de dollars pour 2020. [3]

Le coût environnemental du Bitcoin, mauvaise presse pour la blockchain

Mais rapidement, une notion centrale de la blockchain suscite la controverse : le protocole Proof-of-Work (PoW), utilisée notamment par la blockchain Bitcoin. Cette étape de contrôle des blocs de transaction met en compétition des « mineurs », garants de l’intégrité du système qui rivalisent de puissance de calcul pour trouver la « preuve » permettant la validation du bloc afin de remporter une récompense en bitcoin. Cette surenchère technologique, toujours plus gourmande en énergie, engendre une course à la puissance pour s’assurer de remporter la récompense. Ce qui fait que la dépense énergétique est consubstantielle au Bitcoin [4], mais pas nécessairement pour la blockchain. Même si aux yeux du grand public, les deux restent associés. Cette dépense énergétique demeure cependant relative. En effet, des études (dont celle de Bitmex du 15 septembre 2017) viennent montrer que les mineurs se tournent majoritairement vers des énergies renouvelables et sous-exploitées : 

« une grande partie de l’électricité aujourd’hui utilisée dans le Bitcoin serait en fait de l’électricité provenant d’infrastructures hydro-électriques sous-utilisées (car initialement dédiée à la production d’aluminium en Chine, production qui a baissé drastiquement suite à une baisse de demande pour ce matériau).» [5]

Si le PoW demande une énergie toujours plus importante, d’autres protocoles moins gourmands existent, dont le Proof-of-Stake [6] qui est souvent préféré pour cette raison. 


Les premières applications écologiques de la blockchain 

En parallèle des cryptomonnaies, des initiatives collectives apparaissent peu à peu sur des projets de moindre envergure pour appliquer la blockchain dans le secteur de l’énergie et de l’écologie, voyant dans ce registre de confiance partagée une opportunité pour développer des projets de valorisation énergétique. Ouvrant alors la voie à l’exploitation écologique de la blockchain comme a pu le faire Brooklyn Microgrid (pour l’auto-gestion de la consommation photovoltaïque collective d’un quartier), un exemple souvent cité. [7] 

Si les montants des investissements des grandes sociétés dans la blockchain sont importants et qu’ils rencontrent une croissance fulgurante, on estimait en 2016 que pour les grands acteurs du secteur de l’énergie, elle serait encore longue à se déployer. Pour les entreprises bancaires, l’enjeu et les opportunités à se lancer étaient évidents, pour les autres, peut-être un peu moins. [7]  


2020, l’âge de la maturité ?

Après quelques années, le déploiement et les applications de la technologie pénètrent finalement ce secteur d’activité avec l’initiative de Suez, démontrant que la blockchain s’insère progressivement dans de nouveaux domaines. Ce projet fait figure de test pour le géant de l’eau et des déchets, qui compte poursuivre cette dynamique et développer prochainement une technologie similaire pour la traçabilité des déchets dangereux, qui constituent un volume annuel et des enjeux bien plus importants. En se lançant dans ce domaine, il pourrait être la locomotive de toute une filière et ainsi amorcer une révolution dans la gestion des déchets. Une baisse des investissements dans la blockchain ne devrait donc pas arriver avant un moment et pourrait même s’étendre à de nouveaux marchés. 


Sources : 

[1] HECKETSWEILER Tiphaine. SUEZ lance CircularChain, la blockchain de l’économie circulaire. Publié le 22/09/2020. Disponible en ligne. suez.fr [consulté le 05/12/2020] : https://www.suez.com/fr/actualites/communiques-de-presse/suez-lance-circularchain-blockchain-economie-circulaire-et-accompagne-la-transition-agricole-clef-de-voute-alimentation-durable

[2] LELOUP Laurent. Blockchain, la révolution de la confiance. Publié le 17/02/2017. Disponible en ligne. books.google.fr [consulté le 05/12/2020] :  https://books.google.fr/books/about/Blockchain.html?id=1t8fDgAAQBAJ&printsec=frontcover&source=kp_read_button&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false   

[3] IDC. IDC Reports Worldwide Blockchain Spending to Slow Down to US$ 4.3 Billion in 2020. Publié le 22/06/2020. Disponible en ligne. idc.com [consulté le 19/12/2020] : https://www.idc.com/getdoc.jsp?containerId=prAP46625520

[4] RODRIGUES David. Blockchain et transition énergétique : une cohabitation impossible ? Publié le 16/09/2019. Disponible en ligne. environnement-magazine.fr [consulté le 19/12/2020] https://www.environnement-magazine.fr/energie/article/2019/09/16/125867/tribune-blockchain-transition-energetique-une-cohabitation-impossible

[5] JEANNEAU Clément. Impact écologique des blockchains et cryptomonnaies : idées reçues et réalités. Publié le 02/02/2019. blockchainpartner.fr [consulté le 19/12/2020] :     

[6] COMITOGIANNI Kevin. Proof-of-Work vs Proof-of-Stake. Publié le 19/10/2020. Disponible en ligne. crytonaute.fr [consulté le 15/12/2020] : https://cryptonaute.fr/proof-of-work-vs-proof-of-stake/

[7] LAURENT Anthony. Blockchain, 15 projets dans l’énergie. Publié le 08/02/2017. Disponible en ligne. environnement-magazine.fr  [consulté le 15/12/2020] : https://www.environnement-magazine.fr/energie/article/2017/02/08/48996/blockchain-15-projets-dans-energie

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