lundi 20 février 2017

Décodex, la controverse

 Décodex - une boîte à outils créée et gérée par le journal d'actualité Le Monde sortie le 1er février 2017 - fait sujet à controverse. Comme l'a présenté Mathilde Calvez dans son billet publié lundi dernier, Décodex contient un plugin à installer sur son navigateur web et, grâce à un système de couleur, permet à l'utilisateur de connaître la fiabilité d'un site web. Premier à proposer ce système, Le Monde a lancé son application dans l'optique de contrer la prolifération des "fake news"qui seraient l'une des raisons de la méfiance grandissante des internautes envers les médias actuels. A peine sortie, le plugin rencontre déjà de nombreuses critiques mais aussi apporte de nouvelles réflexions.
 
Le collectif SavoirComun1 (1) - un groupement de bibliothécaires engagé pour les libertés à l’ère numérique et la libre dissémination des savoirs - ne dénigre pas l'utilité de Décodex dans le contexte actuel, mais partage son inquiétude sur ce type d'application d'évaluation, qui gérée par des plate-formes privées, voire par l'Etat pourrait amener à des formes de censure.

Le collectif soutient que :
La qualité de l’information constitue un Commun, qui nécessite en tant que telle une gouvernance par les communautés qui la construisent et l’entretiennent. 

et invite donc à considérer la question sous l’angle des Communs de la connaissance. Il prend l'exemple de Wikipedia qui "montre qu’un espace de publication qui s’est organisé comme un Commun résiste mieux aux fausses informations".

En vue de favoriser l’émergence d’une telle communauté de vigilance informationnelle autour du Décodex, le collectif SavoirsCom1 préconise donc :
  • que les outils de vérification soient toujours eux-mêmes vérifiables (pas de boîte noire),
  • que les règles de contribution et de régulation soient clairement énoncées et toujours susceptibles d’être mises en discussion,
  • que les sites évalués puissent faire appel de leur évaluation en démontrant leur mode d’élaboration ou de transmission de l’information,
  • que les acteurs tirant profit de la diffusion de l’information (organes de presse ou prestataires de services informationnels) contribuent d’une manière ou d’une autre au développement d’une politique publique d’éducation aux médias et à l’information de tous les citoyens.

Des blogueurs comme Olivier Berruyer (2) ou Jacques Sapir (3) qui ont vu leur blog affiché d'une mauvaise évaluation par Décodex accuse Le Monde d'un manque d'objectivité et s'oppose à l'idée qu'un journal d'actualité seul puisse s'arroger le droit d'estimer la valeur d'une information. Daniel Schneiderman, fondateur du site de critique des médias Arrêts sur image, estime lui aussi qu'il y a "une difficulté à ce que Le Monde soit à la fois juge et parti"(4). Jacques Sapir reproche également au journal ne pas faire la distinction entre des blogs donnant des avis personnels et gérés par des auteurs indépendants, et des grands médias gérés par des journalistes professionnels.

Pourtant d'autres spécialistes des sciences de l'information voient Décodex d'un autre oeil et ne retournent pas les mêmes critiques négatives.

Sur son blog, Olivier Ertzscheid (5) considère que Décodex doit être avant tout vu comme un outil perfectible et "s'adresse en priorité à des publics "en formation" aux logiques de publication et de viralité consubstantielles au numérique" et non aux spécialistes de l'information. Il explique également que malgré ses évaluations négatives, Décodex n'est pas légitime à mettre en cause le travail d'autres collectifs, associations de critiques de l'information et insiste avant tout sur le caractère pédagogique de la boîte à outil du journal Le Monde qui a l'avantage de réussir à s'adresser à un public qui n'avait pas conscience de l'impact d'un tel sujet.

Le site Doc pour docs (6) voit dans la controverse autour de Décodex, un bon outil à la réflexion pour les élèves documentalistes. Ils trouvent "fécond le travail sur la controverses et la cartographie des sources qui permettent aux élèves de dépasser le seul critère de la fiabilité d’une source mais de s’attarder sur ceux de pertinences, de discours, d’autorité énonciative (liée à l’auteur), l’autorité institutionnelle (éditeur, organisation…), l’autorité du support (liée au type de document), l’autorité de contenu (la « plausibilité intrinsèque » du texte). Lors des séances en info-documentation et EMI, il semble pertinent de faire travailler les élèves sur des sites puis de les amener à comparer leur analyse à celle de Décodex afin d’en dégager des critères communs ou divergents."

En conclusion, ils citent Vincent Glad qui déclare : "En somme, prenez les sentences du Décodex pour ce qu’elles sont : un intéressant apport au débat public, mais qu’il faut lui-même interroger. Qui décodexera le Décodex ?"

Voir aussi : 
La cartographie "Décodex : controverse" - 
https://framindmap.org/c/maps/306843/public


Sources :

(1) "Controverse Décodex : et si on pensait la qualité de l’information comme un Commun ?" Par SavoirCommun1 du 7 février 2017

(2) Site d'Olivier Berruyer -  http://www.les-crises.fr/

(3) "Déconnant DECODEX" Par Jacques Sapir du 9 février 2017 -

(4) "«Qui fact-checkera les fact-checkeurs ?» : le Decodex du Monde suscite des critiques" Par Eugénie Bastié du 9 février 2017 dans Le Figaro -

(5) "Le #decodex ? Pas de quoi fouetter un Fake." Par Olivier Ertzscheid du 9 février 2017 -

(6) "Controverse autour de Décodex, un outil contre la désinformation ?" Par Doc pour docs du 7 février 2017 - http://docpourdocs.fr/spip.php?article593
 

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