lundi 22 janvier 2018

Les archives sont essentielles pour nous tous !

Un débat anime de nombreux archivistes et historiens depuis novembre-décembre à la suite de la fuite dans la presse d'un document du Ministère de la Culture, révélé par le Monde le 14 novembre 2017 [1], suggérant de s'en tenir à l'avenir, dans la politique publique des archives à "la collecte des archives essentielles". Cette piste de réforme vise à "réduire le champ d'archivage aux archives essentielles pour les générations futures" [2]. La ministre de la Culture est ainsi soupçonnée de vouloir s'emparer des archives pour faire des économies budgétaires et ramener les archives à une matière logistique.

Comme en témoigne les actualités du débat sur les archives essentielles [3], cette piste d'orientation fait polémique. Dans un article de l'humanité, publié le 11 janvier 2018 [4], la communauté archivistique s'interroge sur la conservation des "archives essentielles".

Julien Benedetti (archiviste dans la sphère publique et administrateur de l'Association des archivistes français AAF) insiste sur le fait que la situation actuelle des archives n'est pas satisfaisante, "des lacunes existent dans la collecte" et invite à améliorer la situation en améliorant le processus de collecte et la formation des professionnels.

Pour Marie-Anne Chabin (archiviste et diplomatiste, professeur associé à l'université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis), les archives "sont le fruit de l'archivage, c'est-à-dire une mesure de conservation délibérée de documents en raison de leur valeur, pour un usage ultérieur". Son propos est centré sur le processus de fabrication des archives et sur des éléments méthodologiques en mettant en avant une large méconnaissance du métier d'archiviste.

Le papier de Raphaëlle Branche (professeure d'histoire contemporaine à l'université de Rouen, membre du Conseil supérieur des archives) est titré "les archives : une urgence démocratique". L'insuffisance de moyens pour les services d'archives publics, l'amène à revendiquer la construction de nouveaux bâtiments et la formation des personnels pour traiter les archives numériques. Elle explique clairement, dans l'humanité, que grâce aux archives, tout citoyen peut faire valoir ses droits et que donc tout un chacun est directement concerné par ces questions "d'archives essentielles". En attendant, que fait-on de nos données personnelles au nom de la sécurité intérieure ? L'application du règlement général sur la protection des données (RGPD), le 25 mai 2018, permettra de renforcer et d'unifier la protection des données pour les individus au sein de l'Union européenne. C'est un débat social et sociétal concernant la conservation historique de la mémoire de la nation.

Ces inquiétudes ont immédiatement été émises et une pétition a été lancée [5] par un collectif d'historien de la Revue XXème siècle : Raphaëlle Branche,  Gilles Morin, Antoine Prost, Maurice Vaïsse, Annette Wieviorka. Les réactions que la publication de ce document a suscité appellent des réflexions de fond. L'archivobésité préoccupe les autorités. Il n'y aurait pas assez de place pour conserver les documents [6]. Derrière cette politique d'archivage, les archivistes s'interrogent sur leur rôle : qui sera habilité à déterminer la notion d'essentielle à un document ? Le producteur ? L'archiviste ? L'usager ? Derrière la notion "d'archives essentielles", il se pourrait que le métier d'archiviste change en profondeur [7].

Cela concerne la quotidienneté de chacun dans ses actes du quotidien (par exemple Sécurité Sociale, Etat civil) amenant à s'interroger sur la nécessité d'un débat citoyen et suscitant la question de l'archivage essentiel sans la réduire à un simple problème de stocks à gérer.


Notes et références

[1] FABRE Clarisse. Musées, archives, spectacle vivant.... : les pistes de réforme envisagées pour la culture, lemonde.fr, 14 novembre 2017, [consulté le 22 janvier] <http://www.lemonde.fr/culture/article/2017/11/14/les-pistes-de-reformes-envisagees-pour-la-culture_5214495_3246.html>

[2] CHABIN Marie-Anne. Embrouille, Le blog de Marie-Anne Chabin, décembre 2017, [consulté le 22 janvier 2018] <http://www.marieannechabin.fr/2017/12/embrouille/>

[3] Association des archivistes français. Suivre les actualités du débat sur les archives essentielles, 22 janvier 2018, [consulté le 22 janvier 2018] <http://www.archivistes.org/Suivre-le-debat-sur-les-archives-essentielles>

[4] BRANCHE Raphaëlle, BENEDETTI Julien, CHABIN Marie-Anne. Conservation des "archives essentielles" : un tournant inquiétant ?, publié le 11 janvier 2018, l'Humanité.fr, [consulté le 21 janvier 2018] <https://humanite.fr/conservation-des-archives-essentielles-un-tournant-inquietant-648533>

[5] Branche Raphaëlle, Morin Gilles, Prost Antoine, Vaïsse Maurice, Wieviorka Annette. Pétition. change.org, Les archives ne sont pas des stocks à réduire ! Elles sont la mémoire de la nation, <https://www.change.org/p/les-archives-ne-sont-pas-des-stocks-%C3%A0-r%C3%A9duire-elles-sont-la-m%C3%A9moire-de-la-nation>

[6] GARDETTE Hervé. Toutes les archives sont-elles essentielles ?, franceculture.fr, émission intitulée Du Grain à moudre, 29 novembre 2017, [consulté le 22 janvier 2018] <https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-a-moudre/a-qui-confier-les-archives-non-essentielles>

[7] Antoine. Les "archives essentielles", un tournant dans la pratique archivistique française ?, publié le 5 décembre 2017, [consulté le 22 janvier 2018] <http://archiveweb.hypotheses.org/310>

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