lundi 19 mars 2018

Les Fake News à l'épreuve de l'artiste et du diplomatiste. Questionner l'archive.


Fontaine, Marcel Duchamp, 1917 (réplique), Scottish National Gallery of Modern Art, Edinburgh - Source : Wikipedia CCBYSA
Ces derniers mois, l'engouement pour les Fake News n'est pas resté inaperçu. On les aperçoit dans de nombreux domaines. Alerté par France Info Culture [1] de l'ouverture récente de l'exposition "America ! America ! How real is real"[2], ce billet propose de croiser le regard de l'artiste contemporain avec celui du diplomatiste sur les Fake News. 

En 1917, Marcel Duchamp propose la "Fontaine", au comité d’accrochage du Salon des artistes indépendants de New York sous un faux nom tandis que ce dernier en faisait lui-même partie. L'expérience se solde d'un refus en contradiction avec le principe pourtant fondateur de ce salon : ne refuser aucune œuvre. Avec ce coup d'éclat, Marcel Duchamp réussit à démontrer que le regard de ces pairs sur la valeur fonctionnelle de l'objet manufacturé (readymade), ici l'urinoir, reste prédominante. Pourtant tout l'apanage de l’œuvre artistique a été développé : un objet, une signature, une date et une présentation au Salon. Urinoir ? Fontaine ? Œuvre ? Dans son contexte de création, Marcel Duchamp n'a pas pu faire passer l'urinoir pour ce qu'il n'était pas [encore]. Aujourd'hui, la "Fontaine" de Marcel Duchamp compte plusieurs copies conservées dans des musées internationaux d'art contemporain renommés. Plusieurs années plus tard, et authentifiée par d'autres pairs, l’œuvre de Marcel Duchamp a fini par obtenir son statut patrimonial.

Détourner les objets, les évènements et les informations n'est pas un geste récent dans les pratiques artistiques. L'exemple de l'urinoir de Duchamp remonte à un siècle (1917-2018). Réel, fiction, authentique, faux, trace, archive, document sont autant de concepts traités par les artistes d'art contemporain grâce aux usages de divers médias. "Fake news room" est en 1983 une installation des artistes Larry Sultan et Mike Mandel. A l'époque, ils avaient créé une salle de rédaction de fausses informations au Berkeley Art Museum [3]. En 2017, les artistes l'on réactivée sous la forme d’une œuvre net art [4].

Parfois, les artistes questionnent et mettent à mal le statut de l'archive et les informations qu'elle véhicule. C'est le cas de Vera Frenkel, qui mena son travail à partir des années 1970. Elle créa notamment dans sa série "The Secret Life of Cornelia Lumsden. A remarkable Story" différentes installations où archives authentiques, archives fausses, archives détruites, archives recrées se côtoient dans un univers où la frontière entre réel et fiction ne cesse d'être interrogée [5]. Selon Vera Frenkel, la création de son personnage mi-fictif mi-réel de Cornelia Lumsden avait "à voir avec l'histoire collective, comment on la détruit, comment on la préserve".

L'article d'André Gunthert "La trace ou la source absente" [6], faisant suite à sa participation à un récent séminaire du Centre d’Histoire et Théorie des Arts (CEHTA) de l’EHESS, montre que les questions liées à l'économie de la trace, du document et de l'archive marquent encore l'actualité des Sciences Humaines et Sociales. De manière non exhaustive citons certains grands acteurs du 20e siècle : Paul Ricœur, Gérard Genette ou Jacques Derrida.

Enfin, pour étayer notre propos, un article de Marie-Anne Chabin [7] nous mène vers la découverte d'un autre intervenant que l'artiste pour mettre à mal les informations fausses : le diplomatiste. Sans pour autant faire le lien immédiat avec les Fake news (l'article fut publié en 2013, issu d'une table ronde en 2010), Marie-Anne Chabin met en avant la démarche du diplomatiste comme le moyen "de s’interroger sur la crédibilité de l’écrit qu’il a sous les yeux et tout d’abord de discerner s’il est bien ce pour quoi il se donne" en citant Georges Tessier.

Si les Fake News ont "fait couler beaucoup d'encre" ces derniers mois, elles continueront d'inspirer les artistes et encourager les diplomatistes à les dénicher.


Sources :
 

[1] LIXON, Jean-François. "America ! America !" : quand l'art explore l'info et les fake news. In franceinfo culturebox [en ligne]. Publié le 17/01/2018, [consulté le 19/03/2018] <https://culturebox.francetvinfo.fr/arts/evenements/america-america-quand-l-art-explore-l-info-et-les-fake-news-268081>

[2] "America ! America ! How real is real" au musée Frieder Burda de Baden-Baden, en Allemagne, qui se tient jusqu'au 21 mai

[3]  Des artistes travaillent chaque jour à la conception de Fake News. In Offbeat [en ligne, consulté le 19/03/2018].<http://offbeat.fr/contempler/art/des-artistes-travaillent-chaque-jour-a-la-conception-de-fake-news/>

[4] Fakenewsroom [en ligne, consulté le 19/03/2018] <http://fakenewsroom.org/ae92fa>

[5] BENICHOU, Anne. De l'archive comme œuvre à l'archive de l’œuvre. Vera Frenkel. In Les artistes contemporains et l'archive. Interrogation sur le sens du temps et de la mémoire à l'ère de la numérisation. Actes du colloque 7-8 décembre 2001. Presses universitaires de Rennes. 2004.

[6] GUNTHERT, André. La trace ou la source absente. In l'image sociale. Carnet de recherche d'André Gunthert [en ligne]. Publié le 21/01/2018, [consulté le 19/03/2018] <http://imagesociale.fr/5538>

[7] CHABIN, Marie-Anne. Peut-on parler de diplomatique numérique ? In Vers un nouvel archiviste numérique, sous la dir. de Valentine Frey et Matteo Treleani, L’Harmattan, 2013 (actes de la table ronde de l’INA, 25 novembre 2010). Disponible en ligne : [consulté le 19/03/2017] <http://www.marieannechabin.fr/diplomatique-numerique/>

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