jeudi 22 avril 2021

Vers un accès facilité aux Archives classifiées secret-Défense ?

Emmanuel Macron a fait part de sa décision le 09 mars 2021 de "faciliter l'accès aux archives classifiées depuis plus de cinquante ans, mesure qui concernera donc la période de la guerre d'Algérie (1954-1962). Cette décision vise à la fois à apaiser en interne les historiens qui ont entrepris en septembre 2020 un recours au Conseil d'Etat face aux durcissements des accès aux Archives mais est aussi une décision en faveur d'une politique graduelle de "petits pas" vers l'Algérie [1]. 

Le contexte de l'annonce

Les historiens [2] avaient en effet observé un durcissement de l'attitude des Administrations à la suite d'une circulaire émise depuis début 2020 par le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN), un organisme dépendant de Matignon. Cette circulaire enjoignait les Administrations à appliquer la règle de déclassification éventuelle "feuillet par feuillet" en toute rigueur. Cela avait paralysé nombre de recherches en cours. Un collectif d'historiens avait réagi en déposant un recours devant le Conseil d'Etat. "Le Chef de l'Etat a ainsi pris la décision de permettre aux services d'archives de procéder (...) aux déclassifications des documents couverts par le secret de défense nationale (...) jusqu'aux dossiers de l'année 1970 incluse", "selon le procédé dit de démarquage au carton" [3]. 

Cette annonce intervient aussi après la remise du rapport Stora, publié le 20 janvier 2021, qui préconisait une approche pragmatique et graduelle consistant à dresser des "passerelles" entre la France et l'Algérie "sur des sujets toujours sensibles" : disparus de guerre, séquelles des essais nucléaires, partage des archives, réhabilitation des figures historiques". Une semaine avant le 9 mars, Emmanuel Macron avait reconnu la responsabilité de l'Etat Français dans l'assassinat de l'avocat nationaliste Ali Boumendjel en 1957.

Les réactions mitigées

Dans la communauté des historiens et des archivistes, les réactions sont mitigées [4] pour plusieurs raisons : d'abord cette facilitation de la déclassification concerne beaucoup de cartons, les délais risquent d'être très longs et toutes les Administrations n'ont pas les compétences requises pour le faire. Ensuite, cette mesure ne concerne pas l'ensemble des dépôts d'archives : elle concerne surtout le service historique des armées  et la direction des archives du ministère des Affaires étrangères, l'impact sur les Archives nationales ( sources ministérielles ) étant limité. Enfin, cette mesure traduit une méconnaissance du travail des chercheurs car dans les faits, si elle permet à l'archiviste d'isoler les documents classés défense présents dans le même carton, elle permet de communiquer uniquement ceux qui ne sont pas tamponnés. Or déclassifier au carton ne permet pas la reproduction via des photographies des documents non tamponnés. 

D'un point de vue de l'Algérie, ces mesures ont été saluées par les autorités algériennes qui réclament depuis des années l’ouverture aux Archives coloniales ainsi que le règlement de la questions  "des disparus" de la guerre d’indépendance et celle des essais nucléaires [5]. Mais sur ces questions, l'Elysée affirme d'ores et déjà que "les questions relatives aux armes de destructions massives sont incommunicables " et qu'il n'est "à ce stade pas prévu de modifier ces dispositions". 

Le "hiatus" entre droit du patrimoine et le droit pénal

Ces évènements visent à esquisser un compromis entre deux référentiels en conflit : le code du patrimoine qui  prévoit la libre circulation des archives vieilles de plus de cinquante ans ; de l'autre le code pénal qui sanctionne toute compromission du secret défense. A plus long terme, le plan de l'Elysée est de saisir "avant l'été " le Parlement pour tenter de trouver un compromis législatif. 

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Sources: 

[1] BODIN, Frédéric 2021. En « facilitant » l’accès aux archives de la guerre d’Algérie, Macron poursuit sa politique des « petites pas » sur la réconciliation mémorielle. lemonde.fr. [10.03.2021]. [Consulté le 09.04.2021]. Disponible à l’adresse : < https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/09/m-macron-decide-de-faciliter-l-acces-aux-archives-de-la-guerre-d-algerie_6072488_3212.html >

[2] Tribune Collective 2021.  Archives nationales : « N’abusons pas du secret-défense, si justifié soit-il parfois». lefigaro.fr [03.03.2021]. [Consulté le 13.04.2021]. Disponible accès abonnées à l’adresse : < https://www.lefigaro.fr/vox/societe/archives-nationales-n-abusons-pas-du-secret-defense-si-justifie-soit-il-parfois-20210308

[3] BOITEAU, Victor 2021. Guerre d’Algérie : Macron entrouve les Archives. Liberation.fr [09.03.2021]. Disponible accès abonnées à l’adresse : < https://www.liberation.fr/politique/guerre-dalgerie-macron-entrouvre-les-archives-20210309_NLHI3FTXG5DMHLZWCGHO3DWFU4/ >  

[4] BODIN, Frédéric 2021. Reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel : « La France doit accomplir des gestes sans attendre une réciprocité algérienne ». lemonde.fr. [03.03.2021]. [Consulté le 16.04.2021]. Disponible à l’adresse : < https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/03/reconnaissance-de-l-assassinat-d-ali-boumendjel-la-france-doit-accomplir-des-gestes-sans-attendre-une-reciprocite-algerienne_6071848_3212.html >

[5] BOUNIOL Béatrice 2021. Guerre d’Algérie ?: Emmanuel Macron facilite l’accès aux archives classifiées.  lacroix.fr. [09.03.2021]. Disponible à l’adresse : < https://www.la-croix.com/France/Guerre-dAlgerie-Emmanuel-Macron-facilite-lacces-archives-classifiees-2021-03-09-1201144616 >

dimanche 4 avril 2021

Le Cigref se prononce sur les suites collaboratives

Le 19 février 2021, le Club informatique des grandes entreprises françaises, alias le Cigref, a publié un rapport intitulé Suites collaboratives : Valeur d’usage et alternatives, un livre blanc issu des réflexions de son groupe de travail piloté par Stéphane Rousseau, Directeur des Systèmes d’Information d’EIFFAGE et Vice-Président du Cigref [2]. Dans quelle mesure peut-on faire du collaboratif sans Office 365 et Google Workspace ? Les membres du Cigref se sont penchés sur la question dans le but de trouver des alternatives crédibles et robustes face aux produits de deux géants.


Contexte

La mutation du travail en entreprise - accentuée par la crise sanitaire et le télétravail largement généralisé - met au cœur des préoccupations le sujet de la collaboration numérique et donc des suites collaboratives, clés de voûte de l’entreprise numérique.

Comme le rappelle le Cigref dans son rapport « La performance trouve maintenant sa source dans l’intelligence collective, l’expertise partagée, la transversalité, l’ubiquité de l’activité professionnelle et la porosité avec la vie privée. » [2]. D’où l’avènement de nouveaux outils de collaboration qui permettent le dialogue en temps réel, le partage (image, documents, tâches), la co-édition, etc.

Tout d’abord, le rapport définit le périmètre et l'usage attendu des suites collaboratives puis décrit les deux offres de Microsoft et Google. Ensuite, un tiers du texte est consacré à la recherche d'alternatives open-source à ce duopole, avec la description de leurs avantages/inconvénients et les points de vigilance. Enfin, une dernière partie s'intéresse plus particulièrement à l'usage de ces outils en période de confinement. Pour étayer la réflexion, sont également présentés sept retours d'expériences (Accenture, Scor, Veolia, …).


Se libérer des géants

« Aujourd’hui, le marché des solutions […] se partage en trois parts à peu près équivalentes entre Google Cloud avec G Suite, Microsoft avec Office 365, et une multitude de solutions dont certaines open-source », constate le Cigref [2]. La demande croissante des entreprises à avoir accès à un outil en open-source naît de leur crainte de devenir des clients captifs des deux géants. Cela notamment dû à l’absence de standard entre leurs briques, à des migrations difficiles, des politiques commerciales qui incitent à consommer davantage, de licensing source de surcoûts, de perte d’attractivité et de levier de négociation [3].


Les alternatives se multiplient

Les alternatives sont pourtant bien présentes : Talkspirit qui propose une suite bureautique sur OVH, Linagora et son offre avec OpenPaas, GoFast et son Digital Workplace. Ou encore, dans la bureautique pure, LibreOffice propose une version cloud, mais à héberger soi-même. De là à se passer totalement de Microsoft et de Google ? Le Cigref l’admet : c’est inenvisageable pour la plupart des grandes entreprises. 

Une troisième voie est possible, l’approche hybride [3]. Pour cela, il est nécessaire de développer des stratégies de développement modulaire - concevoir une approche brique par brique, interopérables entre elles. Selon sa culture et ses modes de fonctionnement, chaque entreprise pourra faire ses choix de solutions parmi les propositions disponibles sur un marché dynamique. Mais faire le pas requiert d’avoir des compétences fortes en interne pour mener à bien l’intégration, sans négliger l’accompagnement au changement, l’aspect culturel, technique, organisationnel que cela implique [1].

En la matière, Office 365 et Google Workspace n’ont pas d’égal, reconnaît le Cigref : ils sont les seuls à englober l’ensemble des briques d’une solution collaborative. 


Conclusion

Face au duopole que forment Google et Microsoft, le Cigref s’est interrogé sur l’existence d’une troisième voie crédible et efficace afin d’avoir une meilleure maîtrise de l’environnement d’hébergement, une gestion simplifiée des licences et un contrôle accru des coûts. Il reste tout de même à voir si les entreprises françaises oseront réellement faire le grand saut.


Sources

[1] BOHIC, Clément, 2021. Office 365 ou Google Workspace ? Le Cigref cherche une « troisième voie ». Silicon.fr [24/02/2021]. En ligne. [Consulté le 03/04/2021]. Disponible à l’adresse : <https://www.silicon.fr/office-365-google-workspace-cigref-troisieme-voie-375312.html#>

[2] CIGREF, 2021. Suites collaboratives: Valeur d’usage et alternatives. Cigref.fr [19/02/2021]. En ligne. [Consulté le 15/03/2021]. Disponible à l’adresse : <https://www.cigref.fr/suites-collaboratives-valeur-dusage-et-alternatives>

[3] DUCELLIER, Philippe, 2021. Le CIGREF cherche des alternatives à G Suite et Office 365. Lemagit.fr [30/09/2020]. En ligne. [Consulté le 03/04/2021]. Disponible à l’adresse : <https://www.lemagit.fr/actualites/252489874/Le-CIGREF-cherche-activement-des-alternatives-a-G-Suite-et-Office-365>

[4] LEMAIRE, Bertrand, 2021. Le Cigref se penche sur les suites collaboratives. Cio-online.com [05/03/2021]. En ligne. [Consulté le 15/03/2021]. Disponible à l’adresse : <https://www.cio-online.com/actualites/lire-le-cigref-se-penche-sur-les-suites-collaboratives-12994.html>