dimanche 24 mars 2019

Elections européennes et cyber-sécurité : l'Espagne démarre en tête

Premières élections célébrées dans le nouveau contexte sécuritaire et les plus surveillées depuis 40 ans : le 26 mai prochain des centaines de millions de citoyens sont appelés aux urnes pour élire 705 eurodéputés. Alors que l'Union Européenne appelle les 27 pays membres à blinder la campagne des européennes contre les cyber-attaques et les fake news, l'Espagne applique les directives en avant-première.

Les Oscars de la désinformation (Source : EU vs. Disinfo)
Dans la lutte pour la cyber-sécurité européenne, chacun des 27 pays membres est responsable de son processus électoral et doit veiller à mettre en place les préconisations de l'Union. Pour cela, les pays peuvent recourir, entre autres, à deux outils institutionnels communautaires en ligne. Hybrid CoE, basée à Helsinki, est une plateforme ouverte aux pays membres de l'OTAN et de l'UE destiné aux échanges de connaissance par la publication de rapports de recherche et d'analyse. Elle propose également des stratégies et des formations ciblées, et favorise les bonnes pratiques pour la lutte contre cette "menace hybride". 

De son côté, le corps diplomatique européen, épaulé par ses services d'information, a lancé EU vs Disinfo, une base de données alimentée par l'UE et par ses états membres, qui publie, étudie, analyse, diffuse et classe les données recueillies avec moteur de recherche (par date, titre, média et pays). Le site dispose également d'un flux d'alerte sur des menaces potentielles contre un ou plusieurs territoires. Un graphisme décalé et un registre léger, qui reste journalistique, montrent le dynamisme de la démarche promue par les services de politique extérieure.

Mais en février dernier, au moment où l'UE renforçait ses directives anti-fake news en vue de l'appel aux urnes, Pedro Sánchez, le socialiste à la tête de l'exécutif espagnol, n'a d'autre issue que de convoquer des élections présidentielles : ce sera le 28 avril, un mois avant les élections municipales et autonomiques qui seront célébrées en même temps que les européennes, le 26 mai. 

Jusqu'ici peu réceptive à la problématique de désinformation -la manipulation informative émanant de la Russie en 2014 se situait très loin de Madrid- la crise catalane a confronté l'Espagne à un phénomène similaire lors du pseudo-référendum indépendantisteLe gouvernement espagnol s'est donc dépêché d'appliquer la stratégie préconisée par l'UE avant l'heure, afin de protéger la campagne présidentielle du mois prochain. 


Collage : Luis Parejo (Source : www.elmundo.es)
D'une part, le Ministère de l'Intérieur espagnol a mis en ligne un Guide national de notification et de gestion des cyber-incidents dans lequel il identifie 38 types d'incidents possibles, classés en dix catégories. Des descriptions et des exemples pratiques, destinés à orienter les communications et à faciliter l'analyse, la contention et la suppression du cyber-incident, sont accompagnés de graphiques, de tableaux récapitulatifs et de schémas explicatifs. L'Espagne devient ainsi le premier pays de l'UE à se doter d'un cadre normatif unique en la matière, destiné à clarifier et à renforcer la transposition de la loi sur la sécurité des réseaux et des systèmes d'information.

Par ailleurs, une centaine d'agents de police ont été affectés à une cellule dont le travail exclusif est de passer au crible aussi bien les sources ouvertes -réseaux sociaux, messageries, forums, blogs et sites web- que les sites hébergés dans le deep web -très prisé par les collectifs "anti-système"afin de prévenir les cyber-attaques contre les organismes d'Etat. Cette petite armée cyber-sécuritaire divise en trois les menaces cybernétiques : celles contre le système informatique de décompte des votes, les fake news (classifiées selon leur degré de dangerosité) et les cyber-attaques contre les partis politiques et les administrations publiques. 

Un rapport hebdomadaire est désormais rendu au gouvernement, qui décide de la marche à suivre au cas par cas. Les campagnes de désinformation, par exemple, sont traitées soit par la publication directe de communiqués, soit en faisant appel à la presse traditionnelle pour rétablir les faits. Mais l'exécutif espagnol exprime une inquiétude particulière pour des applications telles que Whatsapp, dont l'Espagne est très adepte. Un moyen de diffusion direct, difficilement traçable et peu onéreux, déjà abondamment utilisé par le parti d'extrême droite Vox. 

Alors que les fake news inquiètent 80% des espagnols (face à la moyenne européenne de 76%), 36% de la population utilise Whatsapp comme source principale d'information (contre 6% en France), d'après une étude de l'Institut Reuters. L'actuel président du Brésil a d'ailleurs mené sa campagne présidentielle par voie de cette messagerie instantanée, parfaite pour la propagande nationaliste selon les analystes : 61% de ses votants ont suivi la campagne présidentielle sur Whatsapp. Après les élections, le journal Folha de São Paulo a dévoilé le résultat de son décompte : 97% des informations partagées par les partisans de Bolsonaro pendant la campagne étaient manipulées, ou fausses

Sources :

EU prepares itself to fight back against hostile propaganda | News | European Parliament, 2019. [en ligne]. [Consulté le 23 mars 2019]. Disponible à l’adresse : http://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/20190307IPR30695/eu-prepares-itself-to-fight-back-against-hostile-propaganda

Action Plan against Disinformation, [sans date]. EEAS - European External Action Service - European Commission [en ligne]. [Consulté le 23 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/54866/action-plan-against-disinformation_en

Portada, [sans date]. Ministerio del Interior [en ligne]. [Consulté le 23 mars 2019]. Disponible à l’adresse : http://www.interior.gob.es

BOE.es - Documento consolidado BOE-A-2018-12257, [sans date]. [en ligne]. [Consulté le 23 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.boe.es/buscar/act.php?id=BOE-A-2018-12257

De Bolsonaro a Vox: cómo WhatsApp ha llegado a ser el arma más eficaz de propaganda política, 2019. ELMUNDO [en ligne]. [Consulté le 23 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.elmundo.es/papel/historias/2019/01/05/5c2f91a8fc6c834e478b45dc.html

LÓPEZ-FONSECA, Óscar, 2019. Cien policías blindarán el 28-A contra bulos y ataques informáticos. El País [en ligne]. Madrid, 15 mars 2019. [Consulté le 23 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://elpais.com/politica/2019/03/14/actualidad/1552571931_168409.html

ABELLÁN, Lucía, 2019. El 80% de los españoles se inquieta por las noticias falsas. El País [en ligne]. Madrid, 7 mars 2019. [Consulté le 23 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://elpais.com/politica/2019/03/06/actualidad/1551901602_791213.html

EU vs DISINFORMATION, [sans date]. EU vs DISINFORMATION [en ligne]. [Consulté le 23 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://euvsdisinfo.eu/

BBC - New BBC research shows nationalism is driving the spread of fake news - Media Centre, [sans date]. [en ligne]. [Consulté le 23 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.bbc.co.uk/mediacentre/latestnews/2018/bbc-beyond-fake-news-research

Under Pressure From The Power, 2018. Folha de S.Paulo [en ligne]. [Consulté le 24 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www1.folha.uol.com.br/internacional/en/ombudsman/2018/12/under-pressure-from-the-power.shtml

Analysis by Country, [sans date]. Digital News Report [en ligne]. [Consulté le 23 mars 2019]. Disponible à l’adresse : http://www.digitalnewsreport.org/survey/2018/analysis-by-country-2018/

WIGELL, Mikael, 2019. Hybrid interference as a wedge strategy: a theory of external interference in liberal democracy. International Affairs. 1 mars 2019. Vol. 95, n° 2, pp. 255‑275. DOI 10.1093/ia/iiz018.

vendredi 22 mars 2019

Les métadonnées au cœur du " Records Management "

Aujourd’hui, le « Records Management » (RM) occupe une place importante dans les organisations. Il se base sur des métadonnées « records » qui permettent de structurer la gestion des documents.

Le Records Management permet d'organiser et de gérer l’ensemble des documents d'activité qu’une organisation doit conserver pour mener à bien son exercice. Les records sont des documents d'activité qu'une organisation doit conserver pour mener à bien son exercice. « Quels que soient leur forme ou leur support, (ils sont) produits ou reçus par toute personne physique ou morale dans l’exercice de ses activités ou de ses obligations légales ». [2] Pour chacun de ces documents, la mission du RM est d'assurer son existence, sa traçabilité, son accessibilité, son authenticité, son intégrité et son exploitabilité. Ainsi, le RM permet à un organisme de disposer à tout moment des documents budgétaires, réglementaires ou légaux dont elle aura besoin en cas de contrôle ou de litige. [1]

Le RM se base sur des métadonnées « Records », qui permettent de structurer la gestion des documents. En effet, elles identifient, fiabilisent et garantissent l'intégrité des documents d'activité. Elles définissent également les méthodes de gestion des ces documents, c’est à dire "l'ensemble des moyens matériels, humains et financiers des activités et processus qui président à leur création et à leur existence". [3]


Ces métadonnées sont définies par la norme ISO 1548 9-1 :
  • contexte, contenu et structure des documents d’activité,
  • gestion des documents dans la durée : date de création, nom du créateur, etc. [3]
La norme ISO 2308 1-1 distingue deux classifications de métadonnées : "1-les métadonnées documentant le contexte, le contenu, la structure et l’apparence dans lequel le document d’activité est créé ou capturé ; 2-les métadonnées documentant la gestion des documents d’activité et les processus par lesquels le document est utilisé, y compris les changements induits sur le contenu, la structure et l’apparence."[3]
 Différentes normes mettent en évidence la spécificité des métadonnées du Records Management,
 "La norme ISO 15489-1 fait référence à la pérennité du mode de gestion des métadonnées. De plus, les normes ISO 23081-12 et 161713 apportent des compléments notables à cette définition en qualifiant les métadonnées d’informations structurées ou semi-structurées permettant la création, la gestion (et l’utilisation [ISO 16171]), l’enregistrement, le classement, l’accès, la préservation (et l’élimination [ISO 23081-1]) à travers le temps et quel que soit l’environnement. Par ces spécificités, les métadonnées du Records Management se distinguent ainsi des autres jeux de métadonnées." [3]

On le voit, la structure et le contenu des métadonnées ont une grande importance dans les projets de « records management ». En début de projet, il est donc essentiel de se poser la question de leur bonne interprétation par les « logiciels de gestion ou logiciels métiers et solutions d’archivage électronique.» [3]

Sources :


[1] Le Groupe métiers AAF-ADBS « Records management » . Cairn. Comprendre et pratiquer le records management. Publié en 2005 : [Consulté le 17 mars 2019]. https://www.cairn.info/revue-documentaliste-sciences-de-l-infomation-2005-2-page-106.html

[2] Michel Remize. ArchImag. Le records management révise ses data : méthodes et bonnes pratiques. Publié en en 1/06/2017 [Consulté le 17 mars 2019]. https://www.archimag.com/archives-patrimoine/2017/06/01/records-management-revise-data-methodes-bonnes-pratiques

[3] Charlotte Maday, Marion Taillefer. Persée. Les métadonnées du records management du point de vue des normes ISO. Publié en 01/02/2018 [Consulté le 17 mars 2019]. https://www.persee.fr/docAsPDF/gazar_0016-5522_2012_num_228_4_4993.pdf 

mardi 12 mars 2019

De la Pierre au Papier, du Papier au Numérique : quel est le rôle du professionnel de l'information documentaire ?

Affiche du colloque PPPN
Du lundi 25 au jeudi 28 février 2019, s'est tenu à l'Université Senghor à Alexandrie-Egypte, le colloque "De la Pierre au Papier du Papier au Numérique" (PPPN). 
De nombreux experts de l'Afrique et du monde arabe dans le domaine du patrimoine, bâti ou mobilier, du patrimoine documentaire (bibliothèques et archives) et du numérique dans le cadre de la sauvegarde patrimoniale, décideurs économiques et politiques, chercheurs et universitaires, gestionnaires et acteurs de la société civile, étudiants, ont répondu présents à cet événement d'envergure internationale. [1] 

L'objectif du colloque porte sur la préservation et la conservation durable du patrimoine. Les conséquences de la globalisation économique et les aléas d'un terrorisme de plus en plus nihiliste réactualisent les risques de destruction du patrimoine africain et arabe. 
C'est dans ce contexte, qu'un cadre de protection des documents, objets d'art et monuments, insuffisant, ajouté à un potentiel économique encore sous-exploité, peine à préserver le patrimoine et endiguer le pillage patrimonial qui touche les pays du Sud.

La profession de gestionnaire de l'information documentaire a longtemps été conditionnée par le contenant, c'est-à-dire le support, le contenu (l'information) était quasiment occulté. l'avènement de la dématérialisation de l'information comme "hyper-document" va changer la donne. Le document perd sa stabilité en tant qu'objet matériel et devient fragmenté et volatile. L'information va ainsi prendre de l’ampleur et on parle de plus en plus de gestion de l'information, ou gestion du contenu, de professionnel de l'information et même de société de l'information. A ce stade, les marocains ont inventé ont crée le néologisme "informatiste" pour remplacer documentaliste qui était trop ancré dans la gestion du contenant. De même, l'ADBS (Association des documentalistes et bibliothécaires spécialisés) est devenu depuis 1993 : (Association des professionnels de l'information et de la documentation)[2] pour aussi essayer de sortir de cette image très "orientée contenant"

En effet, le rôle du gestionnaire de l'information documentaire est primordial au sein d'une société. Face à cette réalité, le numérique peut-il constituer une solution de sauvegarde du patrimoine en péril ?    

D'aucuns pensent que la technologie va mettre au point un support numérique fiable et pérenne, une sorte de parchemin numérique, que l'on pourra ranger en toute confiance sur des rayonnages, à côté des livres et des registres de l'ancien temps, et que, dans cent ans, on pourra le relire sans difficultés. Alors que, comme l'affirme très justement le groupe de recherche international sur l'archivage numérique InterPARES : "Conserver un document électronique est à proprement parler impossible ; seule la capacité de le reproduire peut être préservée". Le support numérique ne dure pas. Il mute. Il migre.

D'autres estiment que le numérique ne convient pas pour l'archivage. Pour deux raisons principalement : ce n'est pas fiable et c'est trop cher. Certes, les supports numériques n'ont pas de résistance intrinsèque des supports traditionnels que sont le microfilm ou le papier chiffon mais la question ne doit pas être posée en termes manichéens comme si la seule alternative se situait entre le bien-papier et le mal-numérique ou, pour d'autres, entre le bien-numérique et le mal-papier. [3] 

Le processus de passage de la pierre au papier, du papier au numérique dans la gestion courante de l'information n'est pas achevé. c'est un processus qui s'étire entre les années 1980 et les années 2010.
L'information dans le support numérique n'est pas un objet visible et palpable comme l'est un registre, un objet que l'on peut feuilleter, dérouler simplement avec ses deux mains, dont on peut voir le contenu, même si on ne le déchiffre pas.  

Sources:

[1] Colloque Universitaire Senghor : De la pierre au papier, du papier au numérique (PPPN) [Internet]. La France à l'UNESCO. [cité 7 mars 2019]. Disponible sur : https://unesco.delegfrance.org/Colloque-Universite-Senghor-De-la-pierre-au-papier-du-papier-au-numerique-PPPN-3247

[2] Thiolon Catherine, « L'image des métiers de l'I-D. Diagnostic et recommandations pour une communication active », Documentaliste-Sciences de l'Information, 2003/6 (Vol. 40), p. 396-400. DOI : 10.3917/docsi.406.0396. URL : https://www.cairn.info/revue-documentaliste-sciences-de-l-information-2003-6-page-396.htm

[3] Marie-Anne Chabin. Le blog de Marie-Anne Chabin [Internet]. Du papier au numérique.[cité 7 mars 2019]. Disponible sur: http://www.marieannechabin.fr/archiver-et-apres/3-du-papier-au-numerique/




Le numérique, un monde sans femmes ?

L'exposition Computer Grrls [1] ouvre ses porte le 14 mars à la Gaîté Lyrique avec l'ambition de mettre en lumière le rôle des femmes dans le développement de l'informatique et d'imaginer un monde numérique inclusif. Cette exposition fait écho au constat fait par le collectif Femme@numérique, qui met en avant la diminution de la part des femmes dans les métiers du numérique depuis 30 ans.

Photo libre de droits

Selon Femme@numérique, seuls 33% des employés du secteur numérique sont des femmes [2]. Sur ces 33%, seules 15% font partie des fonctions techniques (développement, exploitation, production, gestion de projet) contre 75% dans des fonctions supports (ressources humaines, marketing, communication administration). D'après les chiffres, les femmes ne sont pas dans le cœur métier mais accompagnent la transformation digitale de la société.

L'autre constat qui est fait par le collectif est que le phénomène ne va pas en s'améliorant. Après une présence significative des femmes dans les filières informatiques jusque dans les années 80-90, les générations suivantes se sont mises à bouder les formations informatiques et technologiques dès l'enseignement secondaire [3]. 

Quelles sont les causes possibles ? L'une d'entre elles est qu'avec l'essor du secteur informatique dans les années 80 et l'adoption des technologies dans la sphère privée, le marketing autour des objets technologiques s'est concentré exclusivement sur la figure masculine [4]. Les femmes ont peu à peu déserté les formations puis les métiers des sciences informatiques et techniques, désormais considérées comme l'apanage des hommes. Aujourd'hui, les statistiques sur le turn-over des femmes dans le secteur et leur sentiment de non appartenance témoignent de cette tendance [3]. 

Les conséquences de cette tendance sont multiples et sont surveillées de près par les associations, qu'elles soient féministes ou professionnelles, mais aussi et surtout par le gouvernement. La perspective d'emploi dans les métiers du numérique est très forte et va s'accentuer dans les années à venir. Selon une étude de la Commission européenne, 756 000 professionnels du numérique vont manquer d'ici 2022 [5]. Les entreprises pourraient éprouver de grandes difficultés à trouver suffisamment de profils qualifiés. Le gouvernement prend les devants en communiquant régulièrement autour du sujet par le biais de témoignages de femmes entrepreneuses du numérique [6] avec la volonté affichée de s'adresser aux jeunes filles afin de les convaincre  que les portes sont désormais ouvertes. Le député La République En Marche Cédric Villani, a fixé l'objectif de 40% de femmes dans les filières du numérique dans son rapport sur l'intelligence artificielle [3].

D'un point de vue sociétal, l'inclusion des femmes dans la transformation digitale a une visée éminemment stratégique. La recherche de la parité a pour objectif de mieux appréhender les nouveaux usages et les services et ainsi créer un modèle de société plus égalitaire [2]. 

La question de la sous-représentation des femmes dans les métiers du numérique est une question au cœur de l'actualité, dont les répercussions économiques et sociétales sont déjà visibles et ancrées dans les mentalités.  


[1] La Gaîté Lyrique. Exposition Computer Grrls du 14 mars 2019 au 14 juillet 2019. La Gaîté Lyrique[en ligne]. [Consulté le 11 mars 2019]. <https://gaite-lyrique.net/evenement/computer-grrrls>

[2] Collectif Femmes@numérique. Un projet ambitieux : promouvoir la place des femmes dans le secteur numérique. Femmes@numérique [en ligne]. [Consulté le 11 mars 2019]. <https://femmes-numerique.fr/>

[3] Simeone Christine. Sexisme et numérique : "les femmes ne sont pas les bienvenues". France Inter [en ligne]. 19 janvier 2019 [Consulté le 11 mars 2019]. <https://www.franceinter.fr/info/sexisme-dans-le-numerique-les-femmes-ne-se-sentent-pas-les-bienvenues>.

[4] Simeone Christine. Comment les femmes ont été exclu peu à peu du monde numérique. France Inter [en ligne]. 9 mars 2019 [consulté le 11 mars 2019]. <https://www.franceinter.fr/societe/comment-les-femmes-ont-ete-exclues-peu-a-peu-du-monde-numerique>.

[5] Collectif Femmes@numérique. L'initiative. Femmes@numérique [en ligne]. [Consulté le 11 mars 2019]. <https://femmes-numerique.fr/l-initiative/>

[6] Royer Aline. Il faut plus de femmes dans le numérique, elles pensent les services et les besoins différemment. Gouvernement.fr [en ligne]. [Consulté le 11 mars 2019]. <https://www.gouvernement.fr/il-faut-plus-de-femmes-dans-le-numerique-elle-pensent-les-services-et-les-besoins-differemment>

jeudi 7 mars 2019

Le point sur la mise en place de l'identité numérique des Français

Alors que la mission pour le déploiement d'un nouveau service public dématérialisé, confiée en janvier 2018 à Valérie Peneau, Inspectrice générale de l'administration, prévoyait la divulgation d'une première solution au début de l'année 2019, des acteurs pointent d'ores et déjà les risques d'exclusion d'une partie des Français et font des préconisations.

Image IStock. Libre de droit

Dans le cadre du programme de dématérialisation des actes administratifs d'ici à 2022 [1], le gouvernement a lancé une réflexion sur le déploiement d'une identité numérique sécurisée, pour une mise en route à l'automne 2019. L'objectif premier est de faciliter les démarches administratives des citoyens par une entrée ou clé unique d'identification, qui doit faire office de justificatif d'identité du déclarant et doit sécuriser les transactions sur Internet. Si la plateforme FranceConnect, créée en 2014 et placée sous l'autorité de la DINSIC (direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'Etat) permet déjà une identification commune pour plusieurs services administratifs, si le RGPD et la CNIL peuvent garantir le respect des droits fondamentaux, il s'agit d'aller vers plus de simplification et une refonte du service public, totalement dématérialisé.

19 % d'illectronistes en France

Une telle modification de notre espace public, physique et numérique, ne va pas sans susciter des craintes, ce que révèlent de nombreux articles sur la fracture numérique dans les régions. Une étude de 2018 du CSA (Consumer Science & Analytics) commandée par le Syndicat de la presse sociale [2] montre que 19 % des Français, issus de toutes les catégories sociales et de toutes zones géographiques, ont renoncé à utiliser Internet, et parmi eux 39 % ont abandonné pour une démarche administrative.
Dans ce contexte, dans un récent rapport [3], le Défenseur des droits vient appuyer le risque d'une transformation numérique à "marche forcée" des services publics, qui aurait un impact sur les inégalités de traitement civique et les droits fondamentaux des citoyens. Aussi, à partir des saisines déjà enregistrées sur ce sujet, avance-t-il plusieurs recommandations pour que cette dématérialisation aille dans le sens d'une amélioration de l'accès au droit. Parmi celles-ci, il souhaite :

  • le maintien de différentes modalités d'accès aux services ;
  • la protection des usagers qui rencontreraient des difficultés ou des problèmes techniques ;
  • l'envoi de notification papier, sauf consentement de la personne pour la voie dématérialisée ;
  • l'accompagnement des personnes en difficulté ;
  • enfin, des formations pour les travailleurs sociaux et les agents d'accueil de services publics.

Le think tank Renaissance numérique [4] vient également de publier une note de mise en garde sur une mise en place trop hâtive de ce dispositif. Plutôt que des préconisations, il développe des pré-requis pour garantir le succès du dispositif. Le plus important est l'adoption par le citoyen de ce changement, qui ne peut se faire que si un rapport de confiance est établi avec l'Etat. Ce dernier doit donc déployer tous les moyens pour garantir la sécurité du citoyen.
Or selon le baromètre numérique 2018 du Credoc [5] un nombre encore élevé de Français est défiant vis-à-vis de l'utilisation de ses données personnelles. C'est pourquoi l'Etat doit rester le garant de la centralisation et de la sécurisation de l'identité numérique. Et le citoyen doit être au cœur de la démarche et doit pouvoir maîtriser ses données.
En outre parmi les autres pré-requis, le dispositif doit être universel, accessible, agile (ou évolutif). L'accent est surtout mis sur la nécessaire simplification de l'interface utilisateur, comme condition d'adhésion.

Un enjeu d'inclusion sociale

Toutefois, face aux menaces de laisser de côté une partie des citoyens, ce nouveau service public peut être aussi un levier d'inclusion sociale, considère Renaissance numérique. En effet, il peut faciliter l'accès aux aides sociales en simplifiant les procédures et par un enregistrement automatisé des droits.
Le gouvernement accompagne, par ailleurs, les collectivités territoriales vers cette transformation et dresse régulièrement un bilan des avancées de sa politique de dématérialisation.

Renaissance numérique souligne également les avantages d'une standardisation des procédés d'identité numérique par les Etats pour une interopérabilité des services partout dans le monde.
Le programme de mise en œuvre d'une identité numérique doit en fait s'aligner sur la réglementation européenne "eIDAS" de 2014, qui concerne l'identification électronique des services de confiance pour les transactions électroniques au sein de l'UE [6]. Cependant, les Etats restent souverains du choix de leur plate-forme et des modes de validation d'authentification. Mais, pour le moment, les différents modèles déployés dans les Etats membres empêchent l'émergence d'un marché unique numérique.


[1] Programme "Action publique 2022".
[2] CSA. « L’illectronisme » en France. Etude du 25 juin 2018. csa.eu [en ligne]. [Consulté le 7 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.csa.eu/fr/survey/l-illectronisme-en-france
[3] Défenseur des droits. Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics. Rapport du 14 janvier 2019 [en ligne]. [Consulté le 7 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2019/01/dematerialisation-et-inegalites-dacces-aux-services-publics
[4] Renaissance numérique. Identité numérique : Passer à une logique citoyenne. Note de janvier 2019. [en ligne]. [Consulté le 7 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.renaissancenumerique.org/ckeditor_assets/attachments/325/rn_note_identite_numerique_janvier2019.pdf[5] Baromètre du numérique 2018. [en ligne]. 1 décembre 2018. [Consulté le 7 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.credoc.fr/publications/barometre-du-numerique-2018
[6] Règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE [en ligne]. 28 août 2014. 32014R0910. [Consulté le 7 mars 2019]. Disponible à l’adresse : http://data.europa.eu/eli/reg/2014/910/oj/fra 

Intelligence artificielle et intelligence humaine

Avec l’essor des technologies et leur développement qui reposent sur l’intelligence artificielle et n’ayant peu à voir avec l’intelligence humaine, Avner Bar-Hen professeur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), analyse l’étymologie du terme intelligence. Il préconise notamment de former les jeunes et moins jeunes à la science algorithmique tout en gardant à l’esprit que les machines et leurs calculs ne sont pas infaillibles. 

Que ce soit la presse spécialisée ou non, l’intelligence artificielle (IA) occupe le devant de la scène médiatique. Depuis 2010, cette notion principalement visible dans les romans de science-fiction s’est introduite dans notre quotidien via des technologies toujours plus performantes. Mais pour comprendre ce phénomène, il convient de faire un détour par son étymologie. Emprunté du latin intelligentia, « faculté de percevoir, compréhension, intelligence », lui-même dérivé de intellĕgĕre (« discerner, saisir, comprendre »), composé du préfixe inter- (« entre ») et du verbe lĕgĕre (« cueillir, choisir, lire »).  Étymologiquement, l’intelligence consiste donc à faire un choix. Si l’un des aspects majeurs de la révolution numérique est l’accumulation de données, il faut garder à l’esprit que derrière toute donnée, il y a une mesure, c’est-à-dire une chose mesurée et bien sûr, des conventions sociales. L’accès aux données, l’archivage ou le stockage, représentent un pan important de l’informatique. Sans données, pas d’IA. L’IA permet donc de proposer des règles de décision au sein de cette masse d’informations. Le principe des algorithmes, à la base de l’intelligence artificielle, est de chercher des règles de calcul plus ou moins pertinente. Vouloir des algorithmes transparents et accessibles n’a de sens que si l’on est capable de les comprendre. Afin d'éviter que les humains ne deviennent de plus en plus stupides, faire des choix implique de pouvoir faire des erreurs. Si l’on apprend de ses erreurs (ainsi que des erreurs des autres), il est fondamental de ne pas accorder une confiance aveugle aux algorithmes. La notion d’intelligence artificielle génère de fait la notion de bêtise artificielle. Le risque donc n’est pas de voir les machines devenir plus « intelligentes » que les humains (mythe de la singularité), mais plutôt que les humains deviennent de plus en plus stupides. Il va nous falloir nous adapter à une société numérique, et au lieu d’une intelligence artificielle, privilégions une utilisation de l’IA qui nous aide à prendre des décisions respectant nos valeurs fondamentales.

Source : Avner Bar-Hen. L’intelligence n’est ni artificielle ni innée. Publié le 04 mai 2018. [consulté le 06 mars 2019].


mercredi 6 mars 2019

Le Grand débat ou le parcours des data

En décembre 2018, l’Etat a répondu au mouvement lancé par les « Gilets jaunes » un mois avant en proposant l’ouverture d’un grand débat national, auquel s’invitent aujourd’hui data et intelligence artificielle. 


Photo libre de droit

Depuis le 15 janvier 2019, des milliers de Français participent à ce grand débat en émettant des propositions sur tous les sujets qu’ils jugent importants. Education, écologie, fiscalité… tout y passe. Par le biais d’une plate-forme dédiée, tout d’abord, mais également sous format libre, par courrier, par courriel, ou à travers des cahiers de doléances (ou cahiers citoyens) disponibles dans les mairies de près de 9000 communes. Clôturées depuis le 20 février dernier, ces contributions papier se montent à plus de 10 500. Quant aux formulaires en ligne, ils dépassent les 850 000 et devraient assurément croître avant la clôture des dépôts, en avril prochain [1].


Ce procédé de démocratie participative prévoit de faire la part belle au numérique. Si l’on sait d’ores et déjà que l’Institut de sondages Opinion Way aura la charge des contributions en ligne, on en sait moins sur le sort prévu pour l’ensemble des contributions papier. Le format de ces documents est variable : les participations ont été obtenues sur des feuilles volantes comme sur de simples cahiers. La Bibliothèque nationale de France a un rôle à jouer dans cette étape puisque c’est elle qui devra référencer, indexer, numériser et retranscrire les documents dactylographiés en fichiers texte (Word, DocX), alors qu’un appel d’offres a été lancé pour trouver un prestataire candidat à la retranscription des documents manuscrits [2].

Une fois passées ces étapes, les cahiers de doléances et tout autre type de document papier seront gérés par un consortium que pilote Roland Berger et deux autres sociétés spécialisées dans la Civic tech.  Pour les contributions en ligne [3] comme pour les formats libres, le recours à l’intelligence artificielle semble une évidence, tant la masse de documents à traiter doit l’être dans un temps imparti des plus restreint. Pour ces deux chantiers concomitants, le recours à des logiciels « intelligents » permettra d’isoler les groupes de mots qui ressortent fréquemment et dont l’unité linguistique est la même ; l’analyse et l’interprétation humaine travailleront de concert dans cette entreprise dont les résultats devraient être consultables par tous en open data [4].

L'ampleur d'un tel projet rend son cheminement laborieux et soulève nombre d'interrogations quant à la réception qu'auront les citoyens des résultats. Pour autant, cela reste une entreprise inédite qui associe l'exercice démocratique à l'innovation technologique.




[1] TEXIER, Bruno. 2019. Grand débat national : l’autre chantier de dématérialisation du gouvernement. Archimag [en ligne]. 19 février 2019. [Consulté le 05 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.archimag.com/vie-numerique/2019/02/12/grand-d%C3%A9bat-national-autre-chantier-d%C3%A9mat%C3%A9rialisation-gouvernement

[2] GOUVERNEMENT. Compte rendu du Conseil des ministres du 13 février 2019 : Point d'étape sur le grand débat national [en ligne]. 13 février 2019. [consulté le  5 mars 2019] : https://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2019-02-13/point-d-etape-sur-le-grand-debat-national

[3] DEMICHELIS, Rémy. 2019. Grand débat national : à quoi l'intelligence artificielle peut-elle aider ?. Les Echos [en ligne]. 5 mars 2019. [Consulté le 05 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0600782799543-lintelligence-artificielle-peut-elle-vraiment-aider-le-grand-debat-2248867.php 

[4]  TEXIER, Bruno. 2019. Grand débat : Une combinaison homme/machine pour analyser les cahiers de doléances. Archimag [en ligne]. 22 février 2019. [Consulté le 05 mars 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.archimag.com/vie-numerique/2019/02/22/grand-d%C3%A9bat-combinaison-homme-machine-analyser-cahiers-dol%C3%A9ance