jeudi 10 avril 2014

L'article 13 de la loi de programmation militaire



Une nouvelle loi, la « loi de programmation militaire » (LPM) vient alimenter les débats entre données personnelles et libertés individuelles d’un côté, surveillance et lutte contre le terrorisme de l’autre.
L’article 13 en particulier a beaucoup fait couler d’encre, rappelant le cas du NSA aux États-Unis. Le texte a été adopté le 21 octobre 2013 en première lecture par le Sénat, modifié par l’Assemblée nationale le 3 décembre 2013, enfin, le Sénat l’a adopté sans modification, en deuxième lecture le 10 décembre 2013.
Voici un court extrait du rapport de l’Assemblé nationale sur le projet de loi (n°1473), expliquant en quoi « la géolocalisation est devenue un moyen technique d’intérêt majeur pour la prévention des menaces terroristes » (1) :

Elle consiste à localiser un objet, téléphone ou ordinateur portable par exemple, en temps réel ou de manière différée. Elle peut être réalisée par satellite, mais également par GSM ou WIFI, ou encore par le biais de l’adresse IP. Elle permet, indépendamment de l’interception du contenu de la communication, de suivre les déplacements du téléphone, à intervalles réguliers ou en temps réel. La localisation d’un appareil est rendue possible par l’utilisation d’un logiciel qui traduit les coordonnées géographiques obtenues (longitude et latitude) sur une carte. (1)

Il s’ensuit, quelques temps après que le Sénat ait adopté le texte en première lecture, un débat passionné entre différents acteurs parfois accusés de mauvaise foi. C’est la question frontière entre lutte contre l’antiterrorisme, la prévention et le non-respect de la vie privée, très tenue, qui se joue ici.
Le 25 novembre 2013, l’article du Figaro « Téléphone, Internet : l'État pourra bientôt tout espionner », introduit par cette accroche : « la France vire-t-elle à la société orwellienne ? » (2), qui radicalisent les protestations. L’Etat est accusé, sous prétexte de vouloir prévenir les actions terroristes d’étendre sa surveillance, non plus seulement aux données techniques, mais aux contenus même des informations échangées. A noté, l’article est apparu avant que la loi ait été modifiée par l’Assemblée nationale.
S’il apparaît excessif, pour certains, voire « apocalyptique » (3) aux yeux du journaliste Philippe Vion-Dury du Rue 89, dans son article « Loi de programmation militaire : le scandale qui fait sploutch » (3), du 19 décembre 2013, la loi inquiète, pour ses dérives potentielles.

Jean-Jacques Urvoas (Président de la commission des lois de l'Assemblée nationale et député du Finistère) et Jean-Pierre Sueur (Président de la commission des lois du Sénat et sénateur du Loiret), dans un article du Monde du 08 janvier 2014 : « La loi de programmation militaire du gouvernement n'est pas liberticide » (4), répondent à cette polémique, qu’ils jugent injustifié :

Ainsi, depuis plus de quinze jours, des exégètes amateurs et de mauvaise foi s'associent-ils pour tenter de démontrer une prétendue démarche liberticide orchestrée par le gouvernement et soutenue par un Parlement complice afin de soumettre nos concitoyens à une surveillance généralisée à la mode américaine. Et depuis lors, nous nous efforçons d'opposer une analyse dépassionnée du droit à cette théorie du complot, au soupçon qui tient lieu de raisonnement. (4)

Ils relativisent grandement le danger de la loi, qui s’applique à une population très spécifique : les terroristes. En outre, les droits donnés aux services de renseignement sont strictement encadrés et n’affecte pas a priori les articles protégeant la vie privée des individus. Ils concluent leur intervention avec cette phrase :

Il s'agit au final de s'assurer que les administrations de l'Etat œuvrent à préserver la sécurité nationale et luttent pour maintenir la forme républicaine de nos institutions. Nous ne sacrifions pas les libertés individuelles à l'impératif de sécurité mais créons les conditions du plein exercice des premières face aux menaces pesant sur notre société (4).

Philippe Aigrain, informaticien, chercheur et ancien chef du secteur technique du logiciel à la Commission européenne (Wikipédia), considère, lui, que le débat autour de cette révèle un réel manque de connaissance, peut-être de compétences liées à ces questions de surveillances, des hommes politiques français. A propos de Jean-Pierre Sueur, il écrit sur son blog, dans un article du , « Surveillance généralisée ou sursaut démocratique ? » (5) :

Une journaliste de Public Sénat venue m’interviewer hier me disait que le président de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Sueur, un homme respecté pour son action en matière de politique de la ville, s’étonnait des réactions à l’article 13 et aux amendements que le Sénat y a apporté, jugeant le tout « protecteur ». S’il le pense, c’est tragique de méconnaissance. (5)


                                                                                                                                                La loi a bel et bien été adoptée, même si beaucoup rêvent encore d’un amendement parlementaire a posteriori. Quoi qu’il en soit, il est probable que le débat ne s’arrête pas là et qu’il continuera tant que ces questions sur la protection des données privées ne sera pas réglée, si elle se règle.


(1) Rapport fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées sur le projet de loi (n° 1473), adopté par le sénat, relatif à la programmation militaire pour les années 2014 a 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, par les députées Patricia ADAM, Geneviève GOSSELIN-FLEURY.

(2) Jean-Marc Leclerc, « Téléphone, Internet: l'État pourra bientôt tout espionner », Le Figaro,

(3) Philippe Vion-Dury, « Loi de programmation militaire : le scandale qui fait sploutch », Rue 89,

(4) Jean-Jacques Urvoas, Jean-Pierre Sueur, « La loi de programmation militaire du gouvernement n'est pas liberticide », Le Monde.fr,

(5) Philippe Aigrain, « Surveillance généralisée ou sursaut démocratique ? », http://paigrain.debatpublic.net/?p=8461

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