lundi 19 mars 2018

Éduquer un esprit critique ou un esprit libre ?

Dès la rentrée scolaire de septembre 2018, l'usage des téléphones portables sera interdit dans l'enceinte des établissements scolaires primaires et collèges visant à restreindre un usage compulsif poreux à la désinformation. Faut-il interdire ou mieux éduquer à consulter et pour cela ne pas interdire ? Éduquer à un esprit critique produit-il des esprits libres ?

En 2015, plus de huit adolescents sur dix étaient équipés de smartphones. Le corps enseignant déplore le phénomène des "pianoteurs", ces élèves accros à leur téléphone portable au détriment de leur concentration [1]. Au delà de l'altération de la qualité d'assimilation des enseignements, les smartphones ont envahi les cours de récréation. Au point que le Gouvernement a décidé d'interdire les téléphones portables pour la rentrée scolaire 2018 dans l'enceinte des établissements.

Source inépuisable de distractions à l'école, le Gouvernement envisage de mener deux batailles de front: la lutte contre les fake news auprès des adolescents. L'interdiction des téléphones portables entend redonner la main aux enseignants sur l'éducation aux bonnes pratiques en matière d'usage, d'accès et de sélection de l'information pertinente: " Il s'agit de développer des compétences visant à s'informer et à évaluer l'information, de sorte à distinguer les interprétations validées par l'expérience, les hypothèses, les opinions face aux croyances". L'Education nationale entend développer l'esprit critique: " L'esprit critique s'applique à de nombreux domaines et en particulier à l'information numérique par définition diffuse, morcelée et complexe voire irrationnelle. Il s'agit dans le cas des fake news de savoir identifier et comprendre la signification des informations mensongères fabriquées par des individus, des mouvements ou des puissances étrangères que les réseaux sociaux permettent de diffuser à grande échelle, sans participer volontairement ou à son insu, à leur diffusion"[2].

Parallèlement, des expérimentations sont menées comme le programme INTERCLASS de France Inter crée dans la foulée de l'attentat de Charlie Hebdo et qui vise à initier des collégiens et des lycéens aux médias et à l'information piloté par Emmanuelle DAVIET "(...) Je trouve qu'il y a péril démocratique". " Ces jeunes sont déjà confrontés à la pauvreté sociale, culturelle, économique langagière et on ajoute à cela une pauvreté informationnelle". " Je pense réellement que l'éducation aux médias est une impérieuse nécessite pour toute cette génération" [3].

"L'éducation aux médias et à l'information doit être placée au rang de compétence fondamentale (...)". C'est l'appel lancé à l'occasion de la 19ème journée mondiale de l'Internet Sans Crainte (Safer Internet Day) (SID)[4].

Pour autant, Bruno DEVAUCHELLE sur le blog Veille et Analyse TICE s'interroge: " Ainsi la Ministre de la Culture va dans un sens: éducation aux médias, sensibiliser aux médias dans les écoles. Dans le même temps, le Ministre de l'Education va dans l'autre sens: interdiction à géométrie variable du smartphone à l'école et au collège, avec changement de la loi. D'un coté, il faut éduquer en faisant, de l'autre interdire de faire est éducatif"[5].

Il y aurait donc un paradoxe de nature à brouiller l'objectif : interdire le smartphone c'est interdire de pratiquer. Or une pratique raisonnée et raisonnable parce que l'esprit critique surmonte l'usage compulsif et affectif régulerait les usages sans nécessité d'interdiction. Par ailleurs, certains enseignants font le choix d'autoriser le smartphone en classe: " C'est très positif, l'élève devient acteur de la construction du savoir, il apprend à trier les informations" [1].

Parce que les étudiants aiment qu'on gratifient leurs efforts, il existe une application qui récompense ceux qui lâchent leur smartphone pendant les cours [6]. Les points s'échangent contre un bon de café gratuit, une réduction pour une place de cinéma, du pop-corn ou toute récompense offerte par les marques partenaires.

Gratifier par des bons de consommation de produits, c'est soulever une autre problématique: " (...) comment faire en sorte que l'ensemble de la population redevienne pilote de son devenir, en évitant que les moyens de communication, d'influence (publicité, marketing, etc...) ne neutralisent leur capacité à penser et à choisir ?"[5].

[1] Le Monde de l'Education; L’interdiction du téléphone portable à l'école, une mesure difficilement applicable; Le Monde.fr, http://www.lemonde.fr/education/article/2017/12/11/l-interdiction-du-telephone-portable-a-l-ecole-une-mesure-difficilement-applicable_5228060_1473685.html; 2017/12/11

[2] PIERRE Sylvie, Former à l'esprit critique: une arme efficace contre les fake news; The conversation.com, https://theconversation.com/former-a-lesprit-critique-une-arme-efficace-contre-les-fake-news-91438; 2018/02/08

[3] EUTROPE Xavier, L'éducation aux médias est une impérieuse nécessite; Inaglobal.fr, https://www.inaglobal.fr/presse/article/leducation-aux-medias-est-une-imperieuse-necessite-10128; 2018/03/12

[4] ELALOUF Deborah, SCHMIDT Jean-Bernard; Les fake news, c'est à l'école qu'on doit les enseigner pour les combattre; The Huffingtonpost.fr, https://www.huffingtonpost.fr/deborah-elalouf-lewiner/les-fake-news-cest-a-lecole-quon-doit-les-enseigner-pour-les-combattre_a_23354008/; 2018/02/06

[5] DEVAUCHELLE Bruno; Education aux médias et téléphone portable: contradictions ou intérêts? Veille et Analyse TICE brunodevauchelle.com, http://www.brunodevauchelle.com/blog/?p=2662 ; 2018/03/06

[6] LAURENT Annabelle, une appli qui récompense les étudiants qui lâchent leurs smartphones pendant les cours; Usbek & Rica.com, https://usbeketrica.com/article/hold-recompense-les-etudiants-britanniques-qui-lachent-leurs-smartphones-pendant-les-cours; 2018/03/08

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