lundi 17 décembre 2018

Les Français et leur smartphone : de la fusion à la "digital detox"

Alors que le Baromètre du numérique 2018 annonce que le smartphone est devenu l'outil le plus utilisé pour se connecter à Internet, de nombreuses études pointent du doigt les effets parfois délétères de l'ultra-connexion. Les Français eux-mêmes sont conscients de ce glissement insidieux qui transforme l'outil pratique en objet fusionnel, parfois au détriment de leurs capacités cognitives voire de leur vie intime. Réponse à ce phénomène : certains mènent des "digital detox" ou déconnexions volontaires afin de reprendre le contrôle sur les technologies... et sur leur quotidien. 

Le smartphone : l'outil de prédilection pour surfer sur Internet


Début décembre, le Baromètre du numérique 2018 a publié ses résultats. Cette étude annuelle menée par le CREDOC pour le compte de l'Arcep, du Conseil Général de l'Économie et de la Mission Société numérique fait le point sur les usages des Français en matière de TIC [1]. D'après Mounir Mahjoubi, Secrétaire d'État au numérique, il s'agit de "[prendre] le pouls de notre société face aux évolutions technologiques"[2].

Parmi les grands enseignements de l'étude, le fait que le smartphone est devenu l'outil de prédilection des Français pour surfer. 46% de la population préfère l'utiliser pour se connecter à Internet : c'est 4 points de plus par rapport à 2017 et c'est davantage que l'ordinateur qui n'est préféré que par 35% des répondants.

Cette évolution des usages s'explique en partie par une meilleure couverture du réseau 4G : 61% des détenteurs de téléphone portable l'utilisent en 2018 alors qu'ils étaient seulement 42% en 2016.

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Dans le même temps, les Français estiment qu'ils passent trop de temps sur leur téléphone


L'hebdomadaire Télérama a récemment réalisé un dossier au titre provocateur : "L'abus de smartphone rend-il idiot ?". Le magazine y évoque notamment, sur la base de données Ifop, que 42% des utilisateurs de smartphone se sentent "dépendants" de cet objet. Sentiment qui illustre ce que les anglo-saxons appellent le FOMO (Fear or Missing Out) ou, autrement, la peur de rater quelque chose [3]. 

Cette peur entraîne une consultation répétée de nos écrans : d'après une récente étude du cabinet Deloitte, les Français consultent leur téléphone en moyenne 26 fois dans la journée. C'est encore plus chez les 18-24 ans avec 50 consultations par jour en moyenne [4].

Cette consultation réflexe de nos écrans n'est pas neutre pour nos capacités cognitives. D'après l'endocrinologue américain Robert Lustig, nous mettons en moyenne 23 minutes après avoir consulté notre smartphone pour être de nouveau concentré à notre tâche [3]. En consultant à répétition nos écrans, nous finissons par ne plus être totalement présents à notre activité.

L'Observatoire Bouygues Télécom 2018 confirme cette déconnexion difficile y compris dans notre vie privée : 42% des répondants restent connectés en présence de leurs amis (69% chez les 15-25 ans) et 26% le restent même pendant les repas de famille (41% chez les 15-25 ans) [5].

Pourtant, même non-utilisé, la simple présence sur la table d'un téléphone altère la qualité d'une discussion, et en particulier de la capacité d'empathie. Un phénomène que les chercheurs surnomment le "iPhone effect" [6].

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Se déconnecter volontairement ou la "digital detox"


Pour se protéger du caractère invasif des nouvelles technologies voire se préserver de leurs propres mauvaises habitudes, de plus en plus d'individus entament une "digital detox". Le but est de se déconnecter volontairement afin de reprendre le contrôle.

Le projet Devotic (ou Déconnexion volontaire aux TIC), animé par le sociologue Francis Jaureguiberry, a enquêté auprès des populations les plus exposées à une utilisation intensive des TIC. Il explique : "Si ces technologies sont en effet synonymes d'immédiateté, de sécurité, d'ouverture et d'évasion, elles le sont aussi d'informations non désirées, d'appels intempestifs, de surcharge de travail, de confusion entre urgence et importance, de nouvelles addictions, de contrôles et de surveillance non autorisés" [7].

L'étude a révélé que cette déconnexion est rarement totale (elle peut en effet être difficile à mettre en oeuvre dans un cadre professionnel) et très souvent temporaire, mais elle permet d'avoir un usage plus conscient et raisonné des outils de communication et donc moins subi

D'après Francis Jaureguiberry, cette déconnexion est "parfaitement révélatrice de la figure de l'homme hypermoderne qui ne se contente pas du sens du mouvement moderne mais l'interroge au contraire par une réflexivité accrue sur ses choix". 


Sources :


[1] Arcep, Conseil Général de l'Économie, de l'Industrie, de l'Énergie et des Technologies, Mission Société numérique. Baromètre du numérique 2018 [Infographie en ligne]. 03 décembre 2018 [consulté le 17 décembre 1986] 

[2] Sécrétariat d'État au numérique. Baromètre du numérique 2018 [Dossier de presse en ligne]. 03 décembre 2018 [consulté le 17 décembre 1986] 

[3] Télérama : L'abus de smartphone rend-t-il idiot ? N°3594 du 1er au 07 décembre 2018. 

[4] Deloitte. Usages mobiles [Étude en ligne]. 2016 [consulté le 17 décembre 1986] 

[5] Bouygues Telecom. Observatoire Bouygues Telecom des pratiques numériques des Français. 1ère édition, février 2018 [consulté le 17 décembre 1986] 

[6] MISRA Shalini, CHENG Lulu, GENEVIE Jamie, YUAN Miao. The iPhone effect : the quality of in-person social interactions in the presence of mobile devices. Environment and behavior. 1er juillet 2014 [consulté le 17 décembre 1986]

[7] JAUREGUIBERRY Francis. Déconnexion volontaire aux technologies de l'information et de la communication. 7 janvier 2014 [consulté le 17 décembre 1986] 

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