mardi 12 novembre 2019

Génocides, archives, archivistes



Alors que le président Macron vient de donner la composition de la commission de chercheurs qui va étudier les archives relatives aux événements de 1994 au Rwanda, cette liste reste sujette à polémique. Une controverse qui révèle des tensions internes à la France. On verra ici que l'ouverture des archives françaises sur ce génocide soulève de nombreuses questions pour les archivistes.



Le 17 octobre, le Président de la République a révélé les noms des chercheurs de la "Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994)" installée lors des commémorations d'avril. [1]
Son président, V. Duclerc, était déjà en 2015 à la tête d'une mission d'étude mise en place par F. Hollande pour le centenaire du génocide des Arméniens. Celle-ci préconisait notamment "le soutien de l'Etat à la recherche et à ses moyens tant d'accès aux archives que de politique documentaire notamment" et la création d'un "Centre international de ressources". Elle insistait sur les avancées françaises en matière de recherche, d'enseignement, d'analyses juridiques et d'actions pénales.[2]
Toujours en 2014-2015, F. Hollande annonçait l'ouverture des archives de la Présidence et de celles du fonds Mitterrand... qui dépend en fait de D. Bertinotti. Cette dernière, mandataire exclusive jusqu'en janvier 2021, s'y oppose encore.
En mai 2016, le Mémorial de la Shoah organisait le colloque "Les archives disponibles sur le génocide des Tutsi au Rwanda: cartographie et typologie". Sa plaquette affirmait "[...] la création d'un fonds rassemblant l'ensemble des informations relatives à cette histoire s'avère indispensable"
La remise au Mémorial d'archives numérisées du Tribunal de Nuremberg le 10 octobre dernier, en présence de la Garde des Sceaux, vient rappeler ce qui semble une évidence pour beaucoup. [3] La volonté officielle parait rejoindre celle des spécialistes et des citoyens. En effet, il existe aujourd'hui un relatif consensus pour l'ouverture des archives sur le Rwanda, normalement incommunicables sur les bases de la durée légale de protection.
Il s'agit pourtant de la dernière étape en date d'un long processus, riche en controverses et campagnes pour la levée du secret-défense. [4] De nombreux débats et polémiques ont lieu depuis 25 ans sur "le rôle de la France" avant, pendant et après les événements.  
La polémique actuelle sur la composition de la commission de recherche est née d'un article de La Croix en avril 2019. Le chercheur C. Ingrao a alors lancé une pétition dénonçant l'absence de spécialistes du génocide rwandais. Un débat de société jugé nécessaire par de nombreux historiens et militants. Ceux-ci craignent que chercheurs, journalistes et juges (des associations ont porté des plaintes mettant en cause des génocidaires mais aussi des officiels et militaires français) ne puissent pas vraiment accéder aux archives et mener leurs propres travaux. Malgré des mesures fortes, certains mettent en cause la sincérité des démarches présidentielles. Ils questionnent l'indépendance et la transparence des travaux de la commission, l'intérêt réel des documents restants à analyser (beaucoup sont déjà en ligne). Ils insistent sur la pression de l'opinion publique en faveur de l'ouverture des archives.
Cela rappelle la violente polémique entre archivistes quand B. Lainé et son collègue P. Grand avaient témoigné en faveur de J. - L. Einaudi lors du procès qui opposait ce dernier à M. Papon en 1999. Histoire peu connue du grand public, ce qui démontre un relatif manque de visibilité des débats déontologiques et réglementaires entre archivistes. 
Pourtant, ils existent bien comme le prouve le dernier numéro de La Gazette des archives [5]. Sur le thème de la transparence comme ambi­tion citoyenne, dans laquelle les archi­vis­tes auraient un rôle de pre­mier plan à jouer, il distingue trois axes:
– Quels sont les besoins de la société civile en matière d’archi­ves ?
– Comment l’archi­viste donne-t-il accès aux archi­ves ?
– Le droit garan­tit-il l’équilibre entre la trans­pa­rence et la pro­tec­tion des autres inté­rêts, par­ti­cu­lier et géné­ral ?
La question de l'ouverture des archives sur le génocide rwandais prends donc ici toute sa place. Ainsi avec l'article de  M. Veyssière, "Archivistes, usa­gers et secret-défense : prin­ci­pes géné­raux et exem­ples concrets".  Au-delà, l'article de A. Dunant Gonzenbach et P. Flückiger, "Retracer le passé des victimes: la gestion de l'impact émotionnel sur les archivistes" rappelle que les archivistes sont parfois chargés au quotidien de recueillir et accueillir la parole des victimes et de leurs descendants.

[1] https://twitter.com/Archivistes_AAF et https://information.tv5monde.com/video/rwanda-la-liste-des-membres-de-la-commission-d-enquete-sur-les-archives-francaises-devoilee   
[2]"Rapport de la Mission d'étude en France sur le recherche et l'enseignement des génocides et des crimes de masse", avec la collaboration de S. Audoin-Rouzeau, préface de D. Schnapper, postface d'H. Rousso, Paris, CNRS Editions, 2018, 324 p.
http://www.sudoc.abes.fr//DB=2.1/SET=2/TTL=1/SHW?FRST=1 et
https://www.lhistoire.fr/comment-%C3%A9tudier-les-g%C3%A9nocides%C2%A0
[3]https://www.archimag.com/archives-patrimoine/2019/10/16/archives-tribunal-nuremberg-m%C3%A9morial-shoah et https://www.franceculture.fr/histoire/les-archives-du-tribunal-de-nuremberg-plus-accessibles-que-jamais
[4]https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/03/17/rwanda-le-temps-des-archives_5272373_3212.html
[5] https://www.archivistes.org/Archives-et-transparence-une-ambition-citoyenne





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