mardi 18 décembre 2012

Premier anniversaire de www.data.gouv.fr !

La plate-forme nationale de données publiques a fêté son 1er anniversaire le 7 décembre dernier.
Etalab, mission placée sous l'autorité du premier ministre, a été chargée en 2010 de créer une plate-forme d'Open Data afin de faciliter "la réutilisation la plus large possible des informations publiques". Le site a officiellement été ouvert au public depuis le 5 décembre 2011. En laissant l'accès ouvert à ses données, l'Etat a voulu se justifier auprès de ses citoyens en jouant la carte de la transparence (accessibilité et réutilisation du fichier des dépenses du budget, liste des biens immobiliers...).
L'Etat peut-être satisfait du résultat car depuis un an, le site remporte un certain succès : 3.7 millions de pages ont été vues, compte 750 000 visites et 394 000 téléchargements ! Avec ces sujets qui reviennent dans les interrogations :
  • le budget
  • les infractions
  • les personnels des cabinets ministériels
  • les accidents corporels de circulation
  • les élections... 

L'action d'Etalab n'est pas seulement de faciliter l'accès aux information, mais aussi de contribuer à stimuler l'innovation dans l'exploitation des données publiques jamais diffusées avant. Citons Dataconnexion, communauté de projets pour la réutilisation de ces données. Elle rassemble plus de 30 acteurs majeurs de l'innovation : de la petite entreprise aux très grands industriels, des écoles d'ingénieurs, des pôles de compétitivité.
Compatible avec les standards internationaux du web, la plate-forme intègre des technologies sémantiques et des standards d'interopérabilité internationaux.
D'ailleurs, le 10 octobre dernier, Etalab a organisé une journée de formation-action au web sémantique où il était question des web de données en présence de la Fing, Datalift et autres participants.


Et après un an quel est l'avenir d'Open Data ?
Le gouvernement a d'autres projets pour son site : aller vers des données liées à l'éducation, la santé, l'emploi et autres données à impact sociétal pour créer des innovations.
Cependant certaines administrations aimeraient bien commercialiser leurs informations...
Les données publiques resteront-elles longtemps gratuites ?
 


Sources :




Dubaï et la gouvernance numérique



 Vendredi 14 décembre se finissait à Dubaï la Conférence mondiale des télécommunications internationales, portant sur la gouvernance numérique. La France, comme 55 autres pays, n'a pas signé l'accord proposé par l'Union Internationale des Télécommunications (UIT). En tant que professionnels de l'information, nous sommes directement intéressé par tout les soubresauts qui touchent le réseau mondial. Je vous invite à découvrir les enjeux de cette conférence et de la décision française.

Vous avez peut-être été, comme moi, interpellés il y a quelques temps par une pétition lancée par Google pour la défense de la liberté sur internet. Le site de la pétition disait, pour mémoire : "Certains gouvernements ont l'intention de profiter d'une rencontre à huis clos en décembre prochain pour réguler Internet et accroître la censure". Plutôt effrayant n'est-ce pas ? Je me suis donc hâté de la signer, comme bon nombre d'entre vous, j'en suis sûr. Le web est notre outil de travail, l'open data notre ressource, le travail en ligne notre sinécure, qui donc voulait nous priver de cela ? Le sujet mérite d'être approfondi.

Les sujets abordés lors de la conférence de Dubaï étaient de plusieurs ordres. Les 193 membres de l'UIT, une institution dépendant de l'ONU, se sont réunis avec l'objectif de renégocier un accord appelé RTI (pour Règlement des Télécommunications Internationales). Cette accord date de 1988, bien avant l'explosion de l'usage d'internet et l'ouverture à la concurrence du secteur des télécoms. Un toilettage était donc nécessaire et plusieurs pays membres ont déposé des propositions à cette fin.

Des propositions qui ont enflammé la toile


La levée de bouclier des acteurs du web se base sur plusieurs propositions. Tout d'abord sur celle de la Russie, qui a été ralliée par plusieurs pays, qui demandait à ce que les états membres de l'UIT aient "des droits égaux pour réguler l'internet"et donnait pour ce faire compétence à l'UIT pour réguler l'adressage et le routage IP. De fait, la Russie propose la remise en cause de la main-mise de l'ICANN américaine sur la gestion d'internet et ouvre la porte à la censure du web.
Une autre menace qui pesait sur la liberté d'expression était la proposition de confier à l'UIT le soin d'édicter les règles en matière de cybercriminalité. Là encore, les inquiétudes portaient sur le risque sur la régulation des contenus en ligne. A ce sujet, la position de la France, exposée dans un document préparatoire, fait savoir que "les sujets liés à la souveraineté des États membres de l'UIT, notamment la cybercriminalité, la réglementation en matière de contenu, la sécurité et la défense nationales ne devraient pas être abordés dans le RTI". Elle estime que les droits nationaux sont suffisants dans ces domaines.
Ces propositions, qui n'avaient que peu de chances d'être adoptées face aux oppositions étasunienne et européenne, ont effectivement été rejetées, voir même retirées avant le vote, comme la proposition russe. Le secrétaire général de l'UIT, Hamadoun Touré, précise que le traité n'aborde pas Internet, ni sa régulation, ni sa gouvernance.
 
Une tempête dans un verre d'eau ? 

Un point continue cependant à inquiéter les militants de la liberté du web, notamment "la quadrature du net", qui se décrit comme une organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. Une proposition viserait à mettre en cause la neutralité du Net. L'ETNO, le groupement des opérateurs européens, demande que le nouveau RTI autorise la différenciation de la qualité de service. Il s'agirait, en clair, de facturer les transmissions entre les services en ligne et les clients des FAI. Les groupes de télécoms estiment en effet que des services tel que Google, Youtube, Facebook engorgent le réseau en y faisant transiter d'énormes quantités de données grâce à eux, sans qu'ils participent aux bénéfices.
Enfin, l'article 5B évoque la nécessité pour les États membres de prendre des mesures pour prévenir la propagation de flots de communications électroniques non sollicitées et d'en minimiser les conséquences sur les services de télécoms. Certains y ont vu un encouragement de certains gouvernements à verrouiller les échanges électroniques (SMS, mail) au nom du contrôle de cette prolifération ou supposée telle.

Tout est bien qui finit bien

Pour conclure, nous laissons la parole à notre ministre chargée de l'économie numérique, Fleur Pellerin :
" La France, comme la plupart de ses partenaires européens, n’a cependant pas pu se rallier au texte adopté, car certaines dispositions du nouveau traité sont susceptibles d’être interprétées comme une remise en cause des principes fondant notre position et celle des pays européens[...] Internet est un bien commun, qui doit rester libre et ouvert [...] Pour autant, la gouvernance de l'Internet est perfectible et nous devons travailler à ce qu'elle soit véritablement internationale".
 Devant les enjeux soulevés par cette conférence et la vitesse de la progression technologique, l'UIT a décidé de se réunir tout les 8 ans. Il nous appartient à tous, et particulièrement à nous autres professionnels de l'information en devenir, de rester vigilants.


Sources :

lundi 17 décembre 2012

Numelyo, la bibliothèque numérique lyonnaise

Cette semaine [1] était à marquer d'une pierre blanche pour les lecteurs-internautes lyonnais et les autres : celui du lancement de la bibliothèque numérique de Lyon : NumeLyo.[2]

Au commencement était Google ...

Très controversée [3]suite à la signature du partenariat de numérisation avec le moteur de recherche Google, la bibliothèque municipale de Lyon lance cette semaine NumeLyo sur le net, résultat des campagnes de numérisation successives de ces quatre dernières années.
Les fonds numérisés de la bibliothèque municipale de Lyon vont ainsi rejoindre au sein de Google Livres ceux des bibliothèques [4]de l'Université de Colombia, d'Harvard et d'Oxford...
L'accord entre le moteur de recherche Google et la ville de Lyon consistait à ce que la bibliothèque dispose et mette en ligne les contenus numérisés gratuitement et à ce que Google puisse inclure les références des ouvrages dans Google Livres.
Un échange de "bons" procédés puisque les internautes disposent d'ouvrages rares et anciens non consultables à la bibliothèque municipale et à découvrir désormais en ligne depuis chez eux. 


Un trésor de ressources pour les utilisateurs régionaux

Numelyo est un petit changement dans le monde de la recherche historique lyonnaise et des passionnés d'histoire régionale. La bibliothèque numérique met en ligne plus de "200 000 documents numérisés et devrait atteindre les 450 000 d'ici 2015 grâce au concours de Google.".[5]


Quelques exemples riches pour tous les curieux...


Une meilleure visibilité : une agrégation des contenus numériques déjà présents sur le web

Pendant ces quatre années, la bibliothèque numérique de Lyon diffusait déjà le résultat de ce partenariat par la mise en ligne des données via son catalogue numérique. On peut ainsi retrouver la base photographes en rhône-alpes en ligne sous une autre forme.
Numelyo n'est pas vraiment une petite nouvelle dans le panorama des bibliothèques numériques mais plutôt un portail d'entrée commun des différentes ressources déjà mise en ligne par la bibliothèque municipale de Lyon. Plus design, plus communicatif, le site internet contient des interfaces de lecture conçues pour faciliter la consultation d'ouvrages anciens numérisés.

La bibliothèque municipale, seule bibliothèque française bénéficiant d'un partenariat avec le moteur de recherche Google, a su anticiper sur les besoins des utilisateurs en matière de mise à disposition de ressources numériques.

En espérant que Numelyo soit disponible sur support mobile... A quand une valorisation des ressources numérisées en application?


Sources : 
[1]NumeLyo, la bibliothèque numérique de Lyon, et l’ombre portée du contrat de Google. Publié le 15 décembre 2012. [consulté le 17 décembre 2012]
http://scinfolex.wordpress.com/2012/12/15/numelyo-la-bibliotheque-numerique-de-lyon-exister-a-lombre-de-google   
[2] Site internet de NumeLyo [consulté  le 17 décembre 2012]
http://numelyo.bm-lyon.fr/#
[3] KRUG, François. A Lyon, la bibliothèque pactise sans états d'âme. Publié le 18 août 2009. [consulté le 17 décembre 2012]
http://www.rue89.com/2009/08/18/a-lyon-la-bibliotheque-pactise-avec-google-sans-etats-dame
[4] Partenaires de Google Livres
http://books.google.fr/intl/fr/googlebooks/partners.html 
 [5]Numelyo : le fonds numérisé de la bibliothèque de Lyon. Publié le 14/12/2012.[consulté le 17 décembre 2012]
 http://www.degroupnews.com/actualite/n8223-numerisation-lyon-google-bibliotheque-internet.html  

mardi 11 décembre 2012

Ne craignons pas la surcharge informationnelle !


Ce billet s’adresse à tous ceux qui vivent dans la crainte de ne pas parvenir à maîtriser le flot de leurs mails, tweets, et autres posts.

La lecture de l’article de Xavier de la Porte [1]  sur le site internetactu.net nous relate l’expérience du journaliste Olivier Burkeman [2] qui découvre et utilise avec plaisir la nouvelle fonctionnalité inbox pause de Gmail, c'est-à-dire mettre le courrier en attente ni plus ni moins.
« Tout cela est irrationnel. Mais le fait même d’être stressé par l’information est irrationnel. En théorie, nous pourrions suivre des millions de sources d’information, en pratique, nous le faisons qu’avec un petit nombre, et le choix est assez arbitraire. J’essaie de répondre à tous les mails personnels, mais je ne me soucie pas de répondre à tous les messages personnels sur Twitter. La pile de livres à lire sur mon bureau me jette un regard noir, mais je ne ressens jamais aucune angoisse à l’idée de tout ce que je pourrais lire sur le web si je le voyais. Pourquoi donc ne pas combattre l’irrationalité par l’irrationalité ? Inquiétez-vous moins de réduire l’afflux d’information. Cherchez plutôt des moyens de réduire le stress que procure cet afflux – et si cela signifie se tromper soi-même avec des boutons “pause”, des “boomerang” et des trucs comme ça – qu’importe ? Dans la guerre contre la surcharge informationnelle, toutes les armes sont à utiliser » [1].
Certes ! Ce cynisme me plaît,  mais plutôt que de céder à ma tendance à la procrastination (un mot vraiment laid mais très amusant), poursuivons l’article jusqu’au bout car voici la  citation qui va éclairer notre  journée : « la surcharge informationnelle, et l’angoisse qu’elle créée, ne sont pas propres à notre époque.. »

En effet Hubert Guillaud [3] nous dit, retranscrivant les propos de Anaïs Saint-Jude fondatrice et responsable du programme BiblioTech de la bibliothèque de Stanford [4], lors de sa conférence pour Lift 2012 intitulée de Gutenberg à Zuckerberg :  « La surcharge d’information fait partie de la condition humaine : nous sommes confrontés par trop de possibilité, trop de complexité » et d’ajouter « la surcharge d’information est une force qui génère de l’innovation ».
Un autre article particulièrement intéressant de Xavier de la Porte [5]  montre la comparaison que fait Anaïs Saint-Jude entre la période du XVe au XVIIe siècles et la notre. Les mutations liées à la révolution Copernicienne, la découverte de nouveaux mondes et l’invention de l’imprimerie ont en leur temps pu donner le sentiment aux gens d’être submergés par une quantité d’informations nouvelles, une nouvelle vision du monde qui  nécessite de déployer des capacités d’adaptation. Comparant cette période à la révolution de l’ère numérique que nous sommes en train de vivre, elle trouve des similitudes amusantes de pratique entre l’explosion des échanges épistolaires au 17e siècle (voir absolument la représentation cartographiée [4] des échanges épistolaires de Voltaire), les petits mots qui circulent sur des bouts de papiers et les débats sur la place publique avec nos mails, tweets, murs facebook et autres espaces virtuels.
Aux vues de ces recherches, la surcharge informationnelle d’une société est liée à une période d’intenses bouleversements, de révolution des comportements et des idées. Elle  « permet d’identifier de nouveaux besoins, de créer de nouvelles formes d’information »
Pour conclure je réalise que ce flot d’informations, s’il est un courant difficile à maîtriser, est aussi le marqueur inhérent d’une société en état de re-création et qu'il est agréable de se souvenir que nous sommes en train de vivre une révolution.



[2]  BURKEMAN, Oliver. The Guardian, This column wil change your life: information overload [en ligne]. Publié le 2 novembre 2012 [consulté le 11/12/2012].
[3]  GUILLAUD, Hubert. Internetactu.net. #Lift12 : Notre surcharge informationnelle en perspective
[en ligne]. Publié le 29 février 2012 [consulté le 11/12/2012].

[4]  Mapping the Republic of Letters
<http://republicofletters.stanford.edu/case-study/voltaire-and-the-enlightenment>

[5] DE LA PORTE, Xavier. Internetactu.net. De nouveaux médias sociaux ne sont peut être pas si nouveaux que ça [en ligne]. Publié le 21 novembre 2011 [consulté le 11/12/2012]. <http://www.internetactu.net/2011/11/21/les-nouveaux-medias-sociaux-ne-sont-peut-etre-pas-si-nouveaux-que-ca>


Les données personnelles de l'individu


S'informer sur les nouvelles pratiques autour des données personnelles de l'individu avec la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération) et la CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés)

La FING poursuit les réflexions autour de la logistique des données personnelles. Elle entrera en 2013 dans la phase expérimentale du projet MesInfo [1] qui porte sur la restitution des données personnelles détenues par les organisations sur les individus.
Ce projet est le pendant du projet Midata britanique promu en 2011, dont l'objet est l'approche par le partage dans la relation entre des entreprises et des clients, également informés et outillés. La FING invite à participer à la phase expérimentale de MesInfo [2] avec l'enjeu de "faire émerger les concepts d’applications qui créeront de la valeur pour les gens à partir de leurs propres données".

Sur le sujet des données des individus et du web 2.0 marchand, la Direction des études, de l’innovation et de la prospective de la CNIL a lancé le 30 novembre le premier numéro des Cahiers Innovation & Prospective, synthétisant la réflexions d'expertises à propos des évolutions de la protection des données personnelles de l'identité et de la vie privée [3].
"La première partie présente quelques-unes des transformations clés, déjà en cours, qui mêlent innovation technologique, construction de nouveaux modèles économiques et mise en place de nouvelles pratiques sociales. Y sont successivement abordés le web social, la monétisation des données personnelles, le Big Data et la place prise par les algorithmes dans le traitement des données personnelles, la géolocalisation, les techniques biométriques, l’internet des objets et les nanotechnologies. A l'aune de ces transformations, la deuxième partie analyse l'évolution des notions clés de «donnée personnelle» et de «donnée sensible» et des concepts de «privacy paradox », « identité numérique » et « fracture numérique ». La dernière partie suggère plusieurs pistes pour l’élaboration de la régulation de demain, en recentrant le questionnement autour des libertés à préserver, en envisageant le développement de nouveaux modes de régulation tant juridiques qu’extra-juridiques et en proposant une réflexion sur la reconnaissance de nouveaux droits individuels, regroupés sous une catégorie qui est peut-être à créer : les droits de l’homme numérique."

[Sources consultées le mardi 11 décembre 2012]


[1] MesInfos: quand les données personnelles deviennent vraiment personnelles:
[2] Participer à l'expérimentation MesInfos:

[3] Cahiers IP N°01 Vie privée à l'horizon 23012:
Le concept de données personnelles au Parlement européen:



mardi 4 décembre 2012

Question de droit: toujours et encore...



  Documentalistes, archivistes et autres professionnels de l'info doc, confirmés ou en devenir, vous avez tout intérêt à approfondir vos connaissances relatives au droit de l'information. En effet, on ne cesse pas d'être confronté aux questions juridiques les plus épineuses, dont la question du droit d'auteur.  Voici deux exemples actuels qui suggèrent que les prochaines années vont voir d'autres débats éclater dans les sociétés de l'information au cœur desquelles se trouvent les métiers de l'info doc.

Premier exemple: Un équilibre juridique du droit de l’information menacé?

    
   Le billet de veille posté sur ce blog  le 24 octobre 2012   a attiré à juste titre (lisez-le si ce n’est pas encore fait) l’attention sur la Lex Google, proposition de loi soumise par les éditeurs de presse qui obligerait le moteur de recherche à payer aux organismes de presse le référencement des articles de la presse française. Il s'agirait d'un droit voisin qui couvrirait le contenu des articles ainsi que leur indexation. Les bénéficiaires seraient les éditeurs de presse eux-mêmes car, depuis 2009 les journalistes, en tant que salariés d’un journal, se sont vus entièrement dépossédés des droits d’exploitation de leurs propres articles. J’aimerais rebondir sur ce billet en ajoutant une réflexion supplémentaire. 

    Sans entrer dans le détail, on peut affirmer sans avoir peur de se tromper que le numérique et la numérisation sont en train de bouleverser le terrain traditionnel de l’application aux droits d’auteur et aux droits voisins, et donc d’un segment du droit de l’information, d’une part, mais aussi, d’autre part, du droit à l'information. En effet, dans quelle mesure pouvons-nous considérer l’environnement numérique d’Internet comme majoritairement porteur d’information (donc d’idées, données brutes - libres de droit)?  Et dans quelle mesure, comme support ou container d’œuvres originales ? C’est sûrement la propre définition de base du principe de droit d’auteur qui rend si difficile cette distinction dans certains cas dans l’environnement numérique : le droit d’auteur protège dès sa naissance toute œuvre de l’esprit, c’est-à-dire toute création originale ayant reçu un minimum de mise en forme. Un article de presse tombe sûrement sous cette loi, ainsi que certains titres et dépêches possédant quelques éléments d’originalité, mais qu’en est-il de l’information qu'y est véhiculée ?

Born to be free 

La difficulté à trancher cette question vient, me semble-t-il, du fait de la propre nature de l’information et d’Internet : la nature de l’information sous forme numérique est de circuler librement ; Internet, en tant que réseau, est un système créé pour favoriser cette circulation libre. L’utopie d’Internet est d’offrir un fonds commun, une source d'information accessible à tous,

« dans lequel chacun peut venir puiser librement sans entrave pour alimenter ses propres réflexions et créations. Tout comme le domaine public, ce fonds commun joue un rôle primordial dans l’équilibre du système, afin que le droit d’auteur n’écrase pas d’autres valeurs fondamentales comme le droit à l’information ou la liberté d’expression » (« Information wants to be free », vous vous souvenez ?", S.I.LEX ) 

Il y aurait donc un désaccord profond entre cette tendance et celle qui serait un « simple changement de support » de la presse papier vers le format numérique dans le réseau. En effet, on voit que la question va bien plus loin, comme si l’avènement du numérique et d’Internet obligeaient également à repenser le rôle de l’information dans la société et nous mettaient en face cette réalité : l’information a une valeur – une valeur immatérielle qui peut générer des richesses matérielles dont certains secteurs aimeraient bien avoir le contrôle, au détriment des sociétés qui n’en voudraient que les connaissances, cette chose qu’on ne possède pas, qu’on n’use pas, et qu’on peut donner sans en être dépossédé.
Mais le désaccord ne s'arrête pas là: le droit d'auteur ne serait pas un droit inadapté aux sociétés de l'information

Une modernisation des exceptions aux droits d'auteur?


L'IABD (Interassociation Archives Bibliothèque Documentation) a été auditionnée par la Mission Lescure le 17 octobre 2012 et a présenté ainsi une large problématique concernant les questions juridiques auxquelles sont confrontés les professionnels de l'information et de la documentation (cf. vidéo). Les exceptions aux droits d'auteur existantes aujourd'hui seraient inadaptés aux usages actuelles, du web 2.0 notamment, mettant en danger les pratiques professionnelles de la documentation qui se voient devant "jongler" dans les limites du cadre juridique actuel, lorsqu'il s'agit de référencer, résumer, citer et produire des notices bibliographiques accessibles en ligne. Le problème des ouvrages orphelines a été également au centre des problèmes évoques lors de l'audition. Un petit aperçu de ce problème: 

 

Deuxième exemple: la directive européenne pour les œuvres orphelines


Une œuvre est considérée orpheline lorsqu'il est impossible ou difficile d'identifier ou de joindre ses ayants droits. L’ œuvre n'étant plus commercialisée, il n'y a plus de droits à verser à son auteur et, le temps passant, une perte de contact avec lui ou avec ses ayants droits successifs (en cas de décès). Or, une partie des fonds des bibliothèques européennes étant constitué d'ouvrages orphelines, il y aurait grand intérêt à les numériser et à les diffuser sur Internet et les "dégeler" à travers cette nouvelle forme d'exploitation. Mais pour cela il faut obtenir préalablement l'autorisation des ayants droits et donc les retrouver...ce qui peut s'avérer onéreux et très long. 

Une directive européenne (2012/28/EU) a été adoptée par le Conseil de l'UE le 25 octobre 2012 établissant un cadre juridique qui vise à améliorer l'accès aux œuvres orphelines et leur numérisation dans l'Union Européenne. Les nouvelles règles viseraient l'harmonisation du cadre juridique du droit d'auteur dans l'UE: un support considéré comme œuvre orpheline dans un État membre aura le même statut dans les autres États membres, sera accessible en ligne légalement, pourra être exploité à des fins d'intérêt public sans risquer de violer le droit d'auteur. 

Un détail: la directive n'autorisera certains établissements, notamment les bibliothèques accessibles au public, à numériser et à mettre à la disposition du public des œuvres considérées orphelines, qu'après une "recherche sérieuse", dont les étapes doivent être détaillées à l'exhaustion. Ces recherches doivent démontrer l'introuvabilité ou l'absence des auteurs détenteurs des droits. Et elles auront un certain coût et pourront s'étendre dans le temps indéfiniment. 

En France, et pour les livres, la nouvelle directive devra en plus s’accommoder d'une loi votée antérieurement, en mars 2012, concernant les livres indisponibles et qui recouvre les ouvrages orphelines,  car la directive n'a pas d'incidence sur des dispositions déjà existantes. Si, dans ce qui concerne la directive, il faudra réaliser des recherches sérieuses sur les ayants droits avant de numériser les œuvres orphelines, dans ce qui concerne la loi de mars 2012, il faudra attendre 10 ans pour autoriser gratuitement l'accès à ces œuvres et ceci uniquement dans le cadre de l'accès autorisé par la bibliothèque.  Sans compter que, dans ce dernier cas, la société de gestion collective habilité à collecter les droits peut, par un simple "avis motivé" s'y opposer. 

De quoi décourager une numérisation de masse de dites œuvres orphelines...

Pourtant, certains pays, comme la Norvège, par exemple, n'ont pas attendu l'adoption de cette directive pour mettre en place une stratégie très efficace: la licence collective étendue, un système de gestion collective qui permet de gérer au mieux l'accès et l'exploitation des œuvres orphelines sans s'encombrer de recherches infinies. Le Royaume-Uni envisage également d'adopter cette licence, admise par la directive européenne.

Ces deux exemples me semblent significatifs et représentatifs d'une nécessité de repenser les limites des champs recouverts par le droit d'auteur à l'avènement de l'ère du numérique et alors que nous mêmes, futurs professionnels de la documentation, y serons tellement impliqués....

Sources:

- Google ou lorsque le lien hypertexte est un enjeu économique/Michèle Battisti, 26 novembre 2012 
- Bientôt (sans doute) une directive européenne sur les œuvres orphelines/Michèle Battisti, 8 juin 2012 [consulté le 04/12/2012]
- Des failles dans la directive européenne sur les œuvres orphelines/Michèle Battisti, 1 juillet 2012 [consulté le 04/12/2012]
- Le droit d'auteur, un droit inadapté à la société de l'information/Didier Frochot, juin 2004,[consulté le 04/12/2012] 
-« Information wants to be free », vous vous souvenez ?/Calimaq - aka Lionel Maurel Juriste & Bibliothécaire, 23 novembre 2012 [consulté le 04/12/2012]
- Pour un droit d’auteur 2.0/ Michèle Battisti / octobre 18, 2012 [consulté le 6/
12/2012]

  Pour en savoir plus: 


- «La notion d’auteur doit être remise en cause»/ Libération/Médias/ 
- Le droit d'auteur des journalistes /Didier Frochot, 2009, mis à jour en mai 2012 [consulté le 04/12/2012]

- Négociations Google-éditeurs de presse : pas sans les journalistes / Syndicat National des Journalistes, 13 novembre 2012 [consulté le 04/12/2012] 

-  Bibliothèques, musées : exemples de bonnes pratiques en matière de diffusion du domaine public/S.I.Lex/

Facebook, le droit de l'information et la liberté d'expression

   Confrontée ce week-end encore à plusieurs problématiques issues des légendes urbaines sur la politique de confidentialité des contenus de Facebook, cet article, sans prétention d'être ni exhaustif ni indiscutable, se veut rétablir une partie, au moins, de la réalité.

La dernière qui fait fureur

   Un nouveau message de 10 pieds de long circule sur les profils des utilisateurs de Facebook. En résumé (le citer ne ferait que flooder le blog), celui-ci alerte l'utilisateur paranoïaque sur une question de droit de l'information. Ce long texte explique au commun des mortels qu'il doit lui même être publié afin que les publications sur le profil soient protégées au titre du droit d'auteur. Sous entendu, le droit d'auteur n'est pas respecté par Mark Zuckerberg.
 
  Se pose tout d'abord la question de savoir de quelle législation Facebook relève. Et ici, la réponse est double: 
- en ce qui concerne un litige entre deux utilisateurs, il sera appliqué la loi du pays de réception, ou la loi du pays de la victime. Si la victime est française, c'est donc la loi française qui sera prise en compte, et la justice française qui sera saisie.
- en ce qui concerne un litige avec Facebook, le sujet est un peu plus délicat. Il n'y a pour l'instant pas eu de précédent, et on ne sait donc pas ce qui se passerait en cas le procès d'un utilisateur non-américain contre Facebook. Cela dit, il est envisageable d'évoquer à nouveau la loi du pays de réception. Malgré tout, le contrat passé avec Facebook mentionne le droit américain, il est donc fort probable qu'un litige avec Facebook se règle devant les tribunaux américains. Il faudra donc attendre qu'un utilisateur assigne le fameux réseau social devant la justice pour avoir la clé de ce mystère.

 Le droit d'auteur en France

   Définissons ce qui est concerné par le droit d'auteur: l'article L.112-1 du code de la propriété intellectuelle indique que les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. Une œuvre est considérée comme telle à partir du moment où elle présente une originalité, c'est à dire qu'elle sort de l'esprit humain et porte une trace de la personnalité de l'auteur. Un profil Facebook porte donc le statut d'oeuvre puisqu'elle a été créée par l'utilisateur, même si le texte en lui-même peut paraître insignifiant, in-intéressant etc. Il ne s'agit pas là de rentrer dans des considérations subjectives. 


Politique d'utilisation des données Facebook

   Côté Facebook, on trouve la politique d'utilisation des données dès la page d'accueil et de login. Bien entendu, rares sont ceux (dont je faisais malheureusement partie) qui prennent le temps de la lire. Et nombreux sont ceux qui viendront alimenter le mythe du non-respect des droits de la part de Facebook. Pour rétablir un semblant de vérité, voici un petit résumé du contenu de cette politique.

   On y trouve tout d'abord une définition des informations concernées. "Vos informations correspondent aux informations requises pour vous connecter au site, ainsi que les informations que vous choisissez de partager." Tout contenu inscrit dans Facebook est considéré comme information, et donc comme étant partageable, du nom à l'adresse mail en passant par les photos etc. 

   Revenons maintenant sur le principe de partage. Comme l'explique en détail Serge Courrier dans son article "Facebook pour les paranos" il y a de nombreuses manières de paramétrer son compte Facebook. A l'origine ce réseau social est destiné à partager du contenu, des informations, des photos, des liens etc. C'est le principe même d'un réseau social et plus largement, le principe du web 2.0.

   Dans les conditions d'utilisations générales de FB (pour les intimes), il est indiqué qu'en termes de cession de droits d'auteur: "pour le contenu protégé par les droits de propriété intellectuelle, comme les photos ou vidéos, vous nous donnez spécifiquement la permission suivante, conformément à vos paramètres de confidentialité et des applications : vous nous accordez une licence non-exclusive, transférable, sous-licenciable, sans redevance et mondiale pour l’utilisation des contenus de propriété intellectuelle que vous publiez sur Facebook ou en relation avec Facebook (licence de propriété intellectuelle). Cette licence de propriété intellectuelle se termine lorsque vous supprimez vos contenus de propriété intellectuelle ou votre compte, sauf si votre compte est partagé avec d’autres personnes qui ne l’ont pas supprimé."

Paramétrage

   Revenons sur les termes: "conformément à vos paramètres de confidentialité". L'accessibilité à vos données est donc sujette à votre consentement. En tant qu'outil du web 2.0, le paramétrage par défaut autorise un accès public, c'est à dire que "tout le monde, y compris les personnes en dehors de Facebook, peut voir ces informations." (extrait de la politique d'utilisation des données). 

   Le paramétrage de Facebook permet de définir les accès généraux selon différentes modalités (paramètres de confidentialité) :
  • Public (le monde entier)
  • Amis (uniquement les personnes que vous avez acceptées comme amis)
  • Personnalisé (à votre convenance)

   Un autre paramètre vous permet aussi d'accepter ou non que les amis de vos amis voient les publications vous concernant (paramètres du compte > Notifications > Notification en cas d'identification). 
Par ailleurs, le paramétrage est possible individuellement pour chaque publication.

   Cela veut dire qu'en définitive, vous, utilisateur de Facebook, êtes responsables de ce que les autres peuvent voir de vous. Si vous ne paramétrez pas correctement votre compte, n'importe qui pourra avoir accès à vos données. Mais vous ne pourrez vous en prendre qu'à vous même, étant donné que c'est vous qui aurez mal paramétré! Et rien n'est imputable à Facebook, vous n'aviez qu'à lire les conditions d'utilisation, ou encore la politique d'utilisation. Facebook a mis toutes les informations à votre disposition. Et au même titre que "nul n'est sensé ignorer la loi", nul n'est sensé s'abstenir de lire les textes relevant de l'utilisation d'un outil comme FB. Bien évidemment, nul ne les lit (à part peut être quelques mordus de ce genre d'infos et certains juristes dont c'est le métier) !

Jurisprudence du 19 novembre 2010

   En 2008, 3 personnes ayant dénigré leur entreprise et incité à la rébellion sur FB ont été licenciées après que leur entreprise ait eu vent de ces publications. Le 19 novembre 2010, le conseil des prud'hommes a validé la décision de l'entreprise (cf article du Télégramme du 19 novembre 2010).
La question qui se pose est donc la suivante : qu'en est-il de la liberté d'expression ? "Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions" (article 19  de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme). Mais ici on se heurte à la limite entre la diffamation et la liberté d'expression. Ou commence la diffamation, ou s'arrête la liberté? Faut-il se baser sur la maxime "la liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres" ? 


Conclusion


   Facebook soulève la question de la compatibilité entre le web 2.0 et la liberté d'expression, un vaste sujet qui n'a pas fini de faire couler de l'encre. Le web 2.0 de par ses possibilités, donne aux utilisateurs une impression de "no-limit". Les réseaux sociaux mèlent les limites de la sphère privée et de la sphère publique. La distinction entre les deux s'efface, et la prudence est de mise quant à aux propos tenus et publiés.


La conservation des archives numériques à l'échelle de l'histoire ou le "hiéroglyphe du troisième millénaire"


Comment ferons-nous l'histoire  ou comment garderons-nous la mémoire dans les siècles à venir ? La question mérite d'être posée si l'on considère au moins deux aspects :

D'une part, celui de la durée de vie des supports sur lesquels sont sauvegardés les données numériques et d'autre part, la possibilité de lire ces données dans les temps futurs. Actuellement, les matières composites des supports de stockage (CD, DVD) sont rapidement dégradables et leur durée de vie varie entre 5 et 10 ans : "Ainsi, une étude du laboratoire national de métrologie et d'essais a montré en 2011 que, sur 113 DVD réinscriptibles gravés entre 2004 et 2008, 12% présentent déjà des vieillissements importants"
Aujourd'hui, la solution consiste à recopier régulièrement (de 3 à 5 ans) les données sur de nouveaux supports mais cela ne résout pas pour autant la question des systèmes de lecture informatique en constante évolution. 

 C'est à la société grenobloise, Arnano associée à la technologie des chercheurs du laboratoire CEA-Leti, que l'on doit la solution : un disque en saphir (synthétique) de 1,5 mm d'épaisseur et de 20 cm de diamètre. Sa durée de vie est estimée à 2000 ans sans altération possible (à moins de le vouloir !!!) ; en effet, il résiste, entre autres, aux fortes températures, à l'eau, aux éléments chimiques, aux rayonnements UV etc... De plus, la  lecture des informations n'est pas soumis aux aléas de l'évolution informatique. Gravées sous forme analogique, les données numériques pourront être lues uniquement au moyen de systèmes optiques (d'une loupe mais alors très grossissante).
Selon les sources, sa capacité de stockage peut aller de 10.000 à 39.000 pages au format A4 avec une qualité optimale

Le prix de ces disques est cependant élevé entre 3500 et 10.000 euros selon leur qualité soit 35 centimes à 1 euro la page archivée. "Nous nous adressons à un marché de niche d'archives sensibles qui méritent d'être conservées pour des raisons techniques, patrimoniales ou juridiques" explique M. Rey le président de la société Arnano

Sources utilisées :

http://www.paperblog.fr/5640204/nouveau-mode-de-sauvegarde-de-donnees-le-disque-en-saphir/#xg1GF6lmZyHaaUkL.99

http://lentreprise.lexpress.fr/gestion-entreprise/un-archivage-millenaire-pour-stocker-les-donnees-des-entreprises_33554.html


http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/06/28/des-microfiches-en-saphir-pour-affronter-l-eternite_1726227_1650684.html


http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-des-disques-en-saphir-pour-conserver-des-donnees-pendant-2000-ans-49416.html









lundi 3 décembre 2012

Skeuomorphisme, effet diligence et dépendance au sentier

Du danger de la veille : le mot est tombé hier comme un cheveu dans ma soupe (de nouilles lettrées, bien entendu) et semble m'être resté depuis en travers de la gorge.
Mais qu'est-skeu ça veut dire ?
Selon le Bailly, la racine grecque σκευο (.pdf) (skeuo) se rapporte, dans un contexte militaire ou théâtral, aux costumes, bagages et objets d'équipement (meubles, outils, armes, agrès, harnais, etc.). Elle serait par extension associée à la notion d'inertie et semble pouvoir s'appliquer, au figuré, à "l'homme qui est l'instrument ou le complaisant d'un autre".
On pourra reconnaître notamment le préfixe chez le skévophylax (conservateur des trésors des églises orthodoxes) et donc risquer le raccourci : objets de parade, en somme ? L'outil, ornemental (parure), devenu marque de prestige, tradition, instrument symbolique d'un pouvoir. La tentation est grande de retourner lire Jean Genet... mais il faudra ici nous concentrer sur les ingrédients réunis : costume, outil, ornement, inertie, conservation et, donc, forme (morph).
D'où le gloubi boulga...
Ou le soufflé : sitôt percé, retombé.
Skeuomorphism, en anglais, désigne la reprise des caractéristiques techniques d'un objet en tant qu'élément du design d'un autre objet, auquel elles ne s'imposent pourtant pas comme techniquement nécessaires.
Le concept, probablement échappé des tubes à essai d'Apple, est appliqué en particulier aux interfaces informatiques (IHM) lorsqu'elles simulent les mécanismes physiques qu'elles peuvent par ailleurs se donner pour vocation de remplacer : horloges analogiques, boutons, bruit d'obturateur des smartphones, etc.
Le poing sur la table
Vous trouverez sans peine de multiples exemples à intégrer à la liste, au sommet de laquelle il convient probablement de placer les "pages" cornées et encombrées de "post-it" de nos livres numériques ou, dans un autre registre, certains formats bibliographiques hérités des fichiers papier de nos bibliothèques.
Leur réappropriation par l'informatique est en effet purement graphique : nos index n'ont aujourd'hui que faire de pages qui ne sont pas conçues pour l'impression, ou de la ponctuation choisie pour séparer les champs d'une notice.
Ils n'en continuent pas moins, pour autant, à imposer leur logique à nos usages.
Et voilà donc le moment pour Ted Wilson de dégainer : « Imiter le papier sur un écran d’ordinateur revient à arracher les ailes d’un 747 et à l’utiliser comme un bus sur une autoroute. »
Les pieds dans le plat
Quel fondement, donc, à la persistence de tels formalismes ?
Le skeumorphisme nous apparaît comme le versant marketing de l'effet diligence décrit par Jacques Perriault :
« Les premiers wagons ressemblaient à des diligences et les premières automobiles, à des voitures à cheval. Les mentalités, habituées à des techniques désormais dépassées, utilisent les nouveaux outils avec des protocoles anciens, c'est ce que j'appelle l'effet diligence. » (Effet diligence, effet serendip et autres défis pour les sciences de l'information, 2000).
Sa fonction première serait donc didactique. Il s'agit, en associant la forme d'un objet connu à une fonction qui s'y rapporte cognitivement, d'en faciliter l'utilisation : un utilisateur pourra, pour l'appréhender, appliquer à l'objet nouveau les habitudes et connaissances associées à l’ancien.
Plus encore, le skeuomorphisme permet à l'interface, par le biais de références qui sont donc essentiellement culturelles, de suggérer son propre usage. Il semble ainsi particulièrement efficace pour encourager les pratiques ludiques autour de l'objet technique.
C'est qu'il est, enfin, porteur d'affect, c'est-à-dire vecteur d'identité, revendication d'une filiation qui, s'il elle est notamment présentée comme visant l'adoption d'une innovation par les couches les plus résistantes du marché, n'en favorise pas moins son intégration au sein même du système économique.
L'identité recherchée est donc également professionnelle : sa forme est déterminée par les contraintes, techniques et réglementaires, des réseaux de production et de distribution qui la précèdent. C'est le phénomène de dépendance au sentier, particulièrement saillant, en l'occurence, dans un secteur dont l'existence est subordonnée à la séduction d'ayants droit.