Exploitables avec le développement du Big Data, les données laissées par les internautes lors de leur consultation du web constituent une source de valeur pour l’industrie des contenus culturels comme pour celle des contenants. Amazon, Google et Apple on fait de l’utilisation de ces données un des leviers de leur développement. Le livre numérique offre désormais la possibilité d'obtenir des données similaires à travers les informations issues du suivi des pratiques de ses usagers : temps, parcours et préférences de lecture, nombre d’ouvrages consultés, mais aussi détermination du moment où le lecteur s’ennuie à travers l’analyse des abandons de lecture.
Dans un billet publié par la Harvard Business Review (1), Tom Davenport note cependant que le monde de l’édition reste en retrait par rapport à ce mouvement. L’exploitation de ces données reste difficile pour ce secteur, en raison des intermédiaires existants entre les maisons d’édition et leurs clients. Les bénéficiaires des connaissances extraites des données sont principalement les géants du web. Beaucoup d’éditeurs n’ont pas développé de service de vente directe de leurs livres via leur site.
Comme le note Alexandra Alter dans le Wall Street Journal (2), ce faible développement de l'étude des goûts et des pratiques des consommateurs par les éditeurs contraste avec la situation dans le reste des industries culturelles, y compris en dehors du champ de l'exploitation des données issues du Big Data. Aux États-Unis, les producteurs travaillant pour la télévision testent par exemple depuis longtemps à travers des groupes témoin l'appréciation par le public de leurs nouveaux programmes. Dans le monde de l'édition cette évaluation se fait encore largement à travers l'analyse des chiffres de ventes et celle de la réception par la critique. Des éditeurs comme Sourcebooks aux États-Unis ont toutefois commencé à sortir des livres test en version numérique avant de les publier en version papier.
Les nouvelles possibilités offertes par l'exploitation des traces des lecteurs et des acheteurs de livres numériques posent néanmoins un certain nombre de questions.
Au niveau du respect de la vie privée d’abord. Cindy Cohn, responsable juridique au sein de l’Electronic Frontier Foundation (3), note ainsi qu'à l'heure actuelle il n'existe pas de moyen de dire à Amazon : "je veux lire vos livre, mais je ne veux pas que vous suiviez ma trace lorsque je le fais" .
Se baser sur ces données peut ensuite nuire à une politique de diversité éditoriale en amenant les éditeurs à se concentrer sur l’offre la plus profitable au détriment d’ouvrages plus risqués. Comme le souligne Nicolas Gary d’ActuaLitté (4), désormais, au sein des maisons d’édition, en « plus des commerciaux, il faudra compter sur les analystes » en charge de l’exploitation des big datas. On retrouve ici un problème qui concerne également les bibliothèques avec le développement du modèle des Patron Driven Aquisitions : la politique d’achat est fondée sur des statistiques élaborées grâce à la mise à disposition des usagers, pour une durée limitée, d’une large quantité de contenus, remettant en cause des politiques d’acquisitions plus ambitieuses.
On notera enfin avec Nicolas Gary que, si les données issues des pratiques de lecture peuvent permettre de « produire le livre qui ressemblerait à ce que les lecteurs aiment lire » (5), l’utilisation de ces données est loin d’avoir permis à ce jour aux filiales éditoriales d’une entreprise comme Amazon d’obtenir de gros succès éditoriaux. Pour Tom Davenport, "Le principal objectif devrait non pas être de vendre du contenu, mais d'extraire les informations pour fidéliser les clients". Pour les maisons d’édition, cela impliquerait de développer leur relation directe avec les consommateurs.
Notes
(1) Tom Davenport. Book Publishing’s Big Data Future. 3 mars 2014. Harvard Business Review. <http://blogs.hbr.org/2014/03/book-publishings-big-data-future/>, consulté le 17 mars 2014.
(2) Alexandra Alter. Your E-Book Is Reading You. 19 juillet 2012. Wall Street Journal. <http://online.wsj.com/news/articles/SB10001424052702304870304577490950051438304?mg=reno64-wsj&url=http%3A%2F%2Fonline.wsj.com%2Farticle%2FSB10001424052702304870304577490950051438304.html>, consulté le 17 mars 2014.
(3) Alexandra Alter. op.cit. L'EFF est une organisation non gouvernementale américaine défendant notamment les droits des usagers de l'Internet
(4) Nicolas Gary. L'exploitation des Big Datas : l'avenir du livre, le
cauchemar du lecteur. AcutaLitté, 5 mars 2014.
<http://www.actualitte.com/societe/l-exploitation-des-big-datas-l-avenir-du-livre-le-cauchemar-du-lecteur-48589.htm>,
consulté le 17 mars 2014.
(5) Nicolas Gary. Collecte des informations de lecture, la traque d'une recette miracle ? ActuaLitté, 29 juin 2012. <http://www.actualitte.com/usages/collecte-des-informations-de-lecture-la-traque-d-une-recette-miracle-35062.htm>, consulté le 17 mars 2014.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire