Il existe, dans presque toutes
les cultures, des représentations de la vie après la mort. Celles-ci ont été
considérées comme des illusions consolatrices, censées exorciser la peur de la
mort et comme des vestiges de formes de pensée archaïque, préscientifique. Mais
aujourd’hui, c’est la science elle-même qui semble avoir quitté son terrain,
recouvrant celui perdu par les religions et promettant, à l’instar de
celles-ci, une sorte de vie après la mort : l’immortalité numérique.
L’immortalité numérique désigne
la possibilité pour un être humain de transférer sa conscience ou son esprit,
ou pour un employer une expression plus conventionnelle et moins floue, le
contenu de son cerveau sur un support numérique afin de s’assurer, une existence
post-mortem, éventuellement sous la forme d’un robot humanoïde.
Le 10 juillet 2020 sortait le
film écrit et réalisé par Gavin Rothery, et intitulé fort à propos Archive,
qui raconte l’histoire d’un scientifique (George Almore) qui, endeuillé par la
perte de sa compagne, essaie de la ramener à la vie, grâce au mind-uploading. Le
scientifique en question avait auparavant réussi à télécharger, sous la forme d’une
archive, le contenu du cerveau de sa compagne et essayait de fabriquer
un robot humanoïde capable d’éprouver toute la gamme des passions humaines
(joie, tristesse, jalousie, rancune...) afin d’y transplanter la conscience de la
défunte. Les faits se passent en 2038, soit dans moins d’un demi-siècle. Ray
Kurzweil, le directeur de l’ingénierie chez Google, celui que l’on considère
comme « le Thomas Edison de notre époque » annonce, quant à lui, l’immortalité
numérique d’ici 2045.
Le mind-uploading est une
technique, en développement, qui permet, ou pourrait permettre de
transférer, le contenu d’un cerveau sur un ordinateur, lequel serait alors en
mesure de reconstituer l’esprit en simulant son fonctionnement. On peut toujours
arguer que cela relève de la science-fiction voire de la simple fiction
puisqu’en fait, à ce jour, aucune extraction de la conscience et aucun transfert
n’ont été réalisés. Mais toutes les prouesses technologiques ont été, au moment
de leur conception, considérées comme impossibles. Chimériques ou non, cette
idéologie bénéficie de l’appui de très grandes institutions comme Google qui
investit massivement dans les sciences de la vie[1].
Rémi Sussan résume très bien
l’idéologie des tenants de l’immortalité numérique ou virtuelle, enjeu majeur du transhumanisme : « Leur
théorie est la suivante : notre esprit est une production émergente de
l'interaction entre les neurones. Si nous pouvons cartographier ces
interactions, et les reproduire sur un autre support, nous aurons effectué une
"copie de sauvegarde" de notre personnalité. Reste alors à placer
cette copie dans un nouveau corps, artificiel ou même virtuel, pour ressusciter
l'individu ainsi préservé »[2].
Tout une industrie est en train
de se créer autour de cette idéologie, relayée par une abondante cinématographie
(de Total recall à Archive), par des applications qui permettent
de discuter avec une sorte d’avatar virtuel d’un proche disparu (Replika) et
des startups fantastiques comme Nectome qui propose à ses clients de
sauvegarder leurs cerveaux sur le cloud en attendant de pouvoir le télécharger,
dans un avenir plus ou moins proche, sur une machine.
Ce Graal, si tant est qu’on le
trouve, « sera réservé, comme le remarque fort justement l’écrivaine Béatrice
Jousset-Couturier, aux nantis et parachèvera la lutte des classes entre les
riches, qui vivront éternellement jeunes, et les moins riches, qui mourront
bêtement de vieillesse.»[3]
Sources :
1. L'immortalité, c'est pour bientôt? En ligne sur sciencesetavenir.fr. Publié le 05/10/2019 : Consulté le 23/12/2020 <https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/intelligence-artificielle/l-ia-et-l-humanite-eternite-l-immortalite-c-est-pour-bientot_137659>
2. Immortalité: la quête des géants technologiques. En ligne sur digitalcorner-wavestone.com. Publié en Juillet 2014 : Consulté le 23/12/2020 <https://www.digitalcorner-wavestone.com/2014/07/immortalite-la-quete-des-geants-technologiques/>
3. L'immortalité numérique entre fantasme et business. En ligne sur the conversation.com. Publié le 16 Janvier 2020 : Consulté le 23/12/2020 <https://theconversation.com/limmortalite-numerique-entre-fantasme-et-business-129384>
4. Google rêve de l'immortalité et y travaille sérieusement. En ligne sur numerama.com. Publié le 29 octobre 2014 : Consulté le 23/12/2020 <https://www.numerama.com/magazine/31108-google-reve-de-l-immortalite-et-y-travaille-serieusement.html>
[1]
[2]
Rémi Sussan, « Demain, tous immortels ? », Sciences humaines,
Mars 2014, p. 29.
[3]
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