Emmanuel Macron a fait part de sa décision le 09 mars 2021 de "faciliter l'accès aux archives classifiées depuis plus de cinquante ans, mesure qui concernera donc la période de la guerre d'Algérie (1954-1962). Cette décision vise à la fois à apaiser en interne les historiens qui ont entrepris en septembre 2020 un recours au Conseil d'Etat face aux durcissements des accès aux Archives mais est aussi une décision en faveur d'une politique graduelle de "petits pas" vers l'Algérie [1].
Le contexte de l'annonce
Les historiens [2] avaient en effet observé un durcissement de l'attitude des Administrations à la suite d'une circulaire émise depuis début 2020 par le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN), un organisme dépendant de Matignon. Cette circulaire enjoignait les Administrations à appliquer la règle de déclassification éventuelle "feuillet par feuillet" en toute rigueur. Cela avait paralysé nombre de recherches en cours. Un collectif d'historiens avait réagi en déposant un recours devant le Conseil d'Etat. "Le Chef de l'Etat a ainsi pris la décision de permettre aux services d'archives de procéder (...) aux déclassifications des documents couverts par le secret de défense nationale (...) jusqu'aux dossiers de l'année 1970 incluse", "selon le procédé dit de démarquage au carton" [3].
Cette annonce intervient aussi après la remise du rapport Stora, publié le 20 janvier 2021, qui préconisait une approche pragmatique et graduelle consistant à dresser des "passerelles" entre la France et l'Algérie "sur des sujets toujours sensibles" : disparus de guerre, séquelles des essais nucléaires, partage des archives, réhabilitation des figures historiques". Une semaine avant le 9 mars, Emmanuel Macron avait reconnu la responsabilité de l'Etat Français dans l'assassinat de l'avocat nationaliste Ali Boumendjel en 1957.
Les réactions mitigées
Dans la communauté des historiens et des archivistes, les réactions sont mitigées [4] pour plusieurs raisons : d'abord cette facilitation de la déclassification concerne beaucoup de cartons, les délais risquent d'être très longs et toutes les Administrations n'ont pas les compétences requises pour le faire. Ensuite, cette mesure ne concerne pas l'ensemble des dépôts d'archives : elle concerne surtout le service historique des armées et la direction des archives du ministère des Affaires étrangères, l'impact sur les Archives nationales ( sources ministérielles ) étant limité. Enfin, cette mesure traduit une méconnaissance du travail des chercheurs car dans les faits, si elle permet à l'archiviste d'isoler les documents classés défense présents dans le même carton, elle permet de communiquer uniquement ceux qui ne sont pas tamponnés. Or déclassifier au carton ne permet pas la reproduction via des photographies des documents non tamponnés.
D'un point de vue de l'Algérie, ces mesures ont été saluées par les autorités algériennes qui réclament depuis des années l’ouverture aux Archives coloniales ainsi que le règlement de la questions "des disparus" de la guerre d’indépendance et celle des essais nucléaires [5]. Mais sur ces questions, l'Elysée affirme d'ores et déjà que "les questions relatives aux armes de destructions massives sont incommunicables " et qu'il n'est "à ce stade pas prévu de modifier ces dispositions".
Le "hiatus" entre droit du patrimoine et le droit pénal
Ces évènements visent à esquisser un compromis entre deux référentiels en conflit : le code du patrimoine qui prévoit la libre circulation des archives vieilles de plus de cinquante ans ; de l'autre le code pénal qui sanctionne toute compromission du secret défense. A plus long terme, le plan de l'Elysée est de saisir "avant l'été " le Parlement pour tenter de trouver un compromis législatif.
___________________________________________________________________________
Sources:
[1] BODIN, Frédéric 2021. En « facilitant » l’accès aux archives de la guerre d’Algérie, Macron poursuit sa politique des « petites pas » sur la réconciliation mémorielle. lemonde.fr. [10.03.2021]. [Consulté le 09.04.2021]. Disponible à l’adresse : < https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/09/m-macron-decide-de-faciliter-l-acces-aux-archives-de-la-guerre-d-algerie_6072488_3212.html >
[2] Tribune Collective 2021. Archives nationales : « N’abusons pas du secret-défense, si justifié soit-il parfois». lefigaro.fr [03.03.2021]. [Consulté le 13.04.2021]. Disponible accès abonnées à l’adresse : < https://www.lefigaro.fr/vox/societe/archives-nationales-n-abusons-pas-du-secret-defense-si-justifie-soit-il-parfois-20210308 >
[3] BOITEAU, Victor 2021. Guerre d’Algérie : Macron entrouve les Archives. Liberation.fr [09.03.2021]. Disponible accès abonnées à l’adresse : < https://www.liberation.fr/politique/guerre-dalgerie-macron-entrouvre-les-archives-20210309_NLHI3FTXG5DMHLZWCGHO3DWFU4/ >
[4] BODIN, Frédéric 2021. Reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel : « La France doit accomplir des gestes sans attendre une réciprocité algérienne ». lemonde.fr. [03.03.2021]. [Consulté le 16.04.2021]. Disponible à l’adresse : < https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/03/reconnaissance-de-l-assassinat-d-ali-boumendjel-la-france-doit-accomplir-des-gestes-sans-attendre-une-reciprocite-algerienne_6071848_3212.html >
[5] BOUNIOL Béatrice 2021. Guerre d’Algérie ?: Emmanuel Macron facilite l’accès aux archives classifiées. lacroix.fr. [09.03.2021]. Disponible à l’adresse : < https://www.la-croix.com/France/Guerre-dAlgerie-Emmanuel-Macron-facilite-lacces-archives-classifiees-2021-03-09-1201144616 >