mercredi 11 mars 2015

Applications santé, objets connectés et assurances: la question de la fiabilité des données

Axa et Allianz ont lancé depuis janvier de nouveaux contrats d'assurance auto, liés à l'utilisation de deux applications censées mesurer l'attitude au volant des assurés. Le principe est simple: avec un boîtier muni de différents capteurs et installé dans les voitures, les compagnies d'assurance cherchent à évaluer la prudence des jeunes conducteurs, victimes des primes élevées des premiers contrats. Comme l’explique Anne-Gaelle Moisy, responsable du projet Youdrive chez Axa, le boîtier mesure « l’accélération et le freinage brusque qui sont des marqueurs de manque d’anticipation » et l’allure excessive qui «  n’est pas mesurée en rapport à la limitation de vitesse, mais avec Bison futé. C’est le trafic qui compte » [1]. Ces premiers contrats liés à l'utilisation d'objets connectés sont présentés par les opérateurs du secteur comme le début d'une révolution qui conduira à une exploitation de plus en plus large des données personnelles pour la personnalisation des contrats d'assurance.

D'ailleurs, de l'autre côté de l'océan, les objets connectés sont déjà au service des complémentaires santé. On sait que le pétrolier PB a déjà négocié une baisse des mutuelles de ses salariés en échange de l'engagement à les équiper du bracelet Fitbit afin de lutter contre la vie sédentaire et l'obésité. Apple pour sa part a contacté différents assureurs pour leur vendre les données de sa nouvelle application santé Health [2]. Ces nouvelles perspectives de l'assurance laissent craindre un monde dans lequel notre mutuelle arrêtera de rembourser nos frais de santé pendant les mois dans lesquels on n'aurait pas suffisamment marché ou encore un monde dans lequel un employeur n'embauchera pas un travailleur à cause de son historique santé, puisque les données de l'application Apple montrent un taux de sucre trop élevé dans le sang laissant présager un diabétique à assurer à l'avenir. Cela peut laisser aussi espérer un monde dans lequel on paie pour le risque réel et non pas pour un risque fictif calculé en moyenne, comme dans le cas des accidents de voitures. 

Néanmoins, ces réflexions sur l'avenir des assurances semblent faire l'impasse sur la question de la fiabilité des capteurs des objets connectés. C'est précisément sur ce point que l'analogie entre l'assurance santé et l'assurance auto s’arrête. Si la mesure d'une vitesse est une donnée facilement saisissable et traitable, les données relatives à la santé ou à l'activité corporelle nécessitent d'outils plus complexes et d'une technique de traitement de données beaucoup plus fine. Or, à l'exception des capteurs utilisés en milieu hospitalier, les objets connectés sur le marché, sont loin d’être satisfaisants en ce qui concerne leur fiabilité. D'ailleurs, comme l'a récemment souligné l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la plus grande partie des applications  « santé » n’ont pas de certification de conformité médicale. Dans la plupart des cas cette conformité n'est même pas demandée [3]. Les développeurs laissent ainsi délibérément s'installer la confusion. Tout en refusant de soumettre leurs capteurs aux standards de l'utilisation médicale, ils font passer un appareil photo de smartphone comme un outil pour diagnostiquer les mélanomes [4]. Les capteurs semblent s'adresser à des utilisations ludiques et autoreflexives comme le quantified self et leur argument médical sert exclusivement d'argument marketing. 

Par ailleurs, le manque de débat autour de la fiabilité des données produites par les objets connectés semble profiter à tous les acteurs. Personne dans le milieu médical ne semble vouloir prendre au sérieux les potentialités des capteurs connectés: les médecins peuvent ainsi les disqualifier sans questionner leur possible utilité et les développeurs fondent leur pratique sur l'ambivalence entre "santé" et "bien-être" sans avoir à se confronter aux normes des pratiques médicales [5]. Or, les assureurs et les systèmes de santé publique pourraient donner une nouvelle impulsion à la réflexion sur l'exploitabilité médicale des données. D'une part, on pourrait demander plus de précision et de transparence, et d'autre part, on pourrait pousser les développeurs à se pencher sur ces pathologies dans lesquelles le suivi peut en effet aider à une meilleure gestion de la santé (pathologies chroniques et gériatrie). Ces secteurs à fort risque sont oubliés pour le moment par les développeurs qui s'adressent à des individus en bonne santé physique et économique. C'est au contraire vers ces secteurs que se tournent aujourd'hui les assureurs.

Sources: 
[1] G. Serries, "Conducteur connecté: "l'assurance auto basée sur le comportement arrive début 2015"", ZDNet (en ligne), mis en ligne le 8 décembre 2014, http://www.zdnet.fr/actualites/conducteur-connecte-l-assurance-auto-basee-sur-le-comportement-arrive-debut-2015-39810971.htm#xtor=RSS-1, consulté le 11 mars 2015. 

[2] G. Champeau, "Apple approche les mutuelles pour divulguer le comportement des assurés", Numerama  (en ligne), mis en ligne le 22 Aout 2014,  http://www.numerama.com/magazine/30323-apple-approche-les-mutuelles-pour-divulguer-le-comportement-des-assures.html, consulté le 11 mars 2015.

[3] H. Guillaud, "Applications de santé (2/3): bienvenue dans la jungle!", Internet Actu.net (en ligne), mis en ligne le 27 janvier 2015, http://www.internetactu.net/2015/01/27/applications-de-sante-23-bienvenue-dans-la-jungle/ , consulté le 11 mars 2015. 

[4] H. Guillaud, "Applications de santé (1/3): que captent les capteurs?", Internet Actu.net (en ligne), mis en ligne le 22 janvier 2015, http://www.internetactu.net/2015/01/22/applications-de-sante-13-que-captent-les-capteurs/, consulté le 11 mars 2015. 

[5] H. Guillaud, "Applications de santé (3/3): et si on devenait sérieux!", Internet Actu.net (en ligne), mis en ligne le 3 février 2015, http://www.internetactu.net/2015/02/03/applications-de-sante-33-et-si-on-devenait-serieux/, consulté le 11 mars 2015.
 

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